« Plonge, plonge dans les abysses de ton âme, découvre ce monde parallèle que tu rêves tant d’arpenter. Plonge, laisse-toi porter, ma douce, douce petite poupée … Regarde, regarde le monde qui te fait face, regarde sa laideur, regarde ses imperfections … Crois-tu qu’il est possible de le changer ? Crois-tu seulement de ta petite main de gamine, tu feras quelque chose ? Tu ne sers à rien, à rien … »

Yuka ouvrit les yeux. Le Soleil l’aveugla. Perçant la sempiternelle brume de Kiri, il semblait plus puissant que jamais. Clignant des paupières avec difficulté, elle sentit la sécheresse de ces dernières. Les plissant de nouveau, pour qu’ils redeviennent humides, la gamine finit par se lever et recouvrer une vue plus ou moins correcte. Son cœur battait la chamade. Revenu. Il était revenu. Là, tapi dans ses souvenirs, à la regarder en souriant. Il la chassait, la traquait. Et à la moindre faiblesse … PAF ! Il l’assaillait, lui assénait des coups mentaux à tout-vas, pour la détruire un peu plus. Se retenant au mur, Yuka exhala un long soupir. Il ne la lâcherait jamais, cela devenait de plus en plus certain. Toujours là, caché dans son ombre, dans les plus sombres recoins dans son esprit, il attendait qu’elle finît par tomber pour la détruire.

« Alors quoi, petite … Tu as peur, tu t’enfuis ? Je pensais que tu étais devenue forte, pourtant … Oui, si forte, si forte … Une personne puissante, réfléchie, sans peur et sans barrière … Mais tu n’es que l’ombre de toi-même … »

Cette petite voix, au creux de son esprit, lui donnait le tournis. Elle en tremblait, en frissonnait. Son corps réclamait une certaine paix, hurlant sourdement ce besoin d’être libérée de ses chaînes, de cette prison mentale qui la retenait captive. Captive dans un univers qui ne lui appartenait en rien.

D’un geste, Yuka attrapa un sac plein de toutes sortes de babioles et sortit en courant. En sa tête résonnait ce son, ce glas mortuaire qui la condamnait un peu plus. Qui l’enfonçait dans les méandres d’une folie destructrice, qui annihilait peu à peu sa raison. Elle se précipita vers l’archipel, la mer lui ferait du bien. Y plonger, tout oublier, penser à autre chose. Dans une douce solitude. Son esprit nageait dans une tranquille ataraxie rien que de s’y plonger. Avec bonheur, la gamine accéléra.

Son souffle se fit plus court, mais elle n’en tint pas compte. Son objectif l’obnubilait au plus haut point, à tel point que, peu à peu, son propre esprit oubliait son corps, sa fatigue. Fuir, s’échapper. Se glisser entre ses mains pour retrouver cette douce liberté qui lui tenait tant à cœur. Tout cela comptait bien plus que ce satané manque d’oxygène.

Une fois tout près de l’eau, Yuka ne prit pas même le temps de faire attention à ses affaires. Au contraire, les jetant au hasard sur la rive, elle finit par ôter de nombreuses couches superflues pour se jeter dans l’eau sans faire attention au reste. Le contact de l’eau gelée contre sa peau lui arracha un petit gémissement de satisfaction. Elle ferma les yeux un instant quand, après s’être plongée dans un certain silence, une présence vint briser son moment de plaisir. Une sombre inconnue, là, dans l’eau.

Yuka pencha la tête et se dirigea jusqu’à cette dernière. Une demoiselle jamais croisée, ici ? Perdue ? Impossible.

« Mmmh … Excusez-moi … Qui êtes-vous ? »

La jeune femme était plutôt jolie mais … La Mitsuharu avait beau la considérer sous tous ses angles, elle ne voyait pas du tout, ne la croisant pas même dans ses plus anciens souvenirs.

Une bonnasse. Très clairement. Bon, pas de celles qui excitaient instantanément Yuka – surtout dans le sens où cette dernière était hétérosexuelle –, mais qui, finalement, restaient plutôt attirantes. Oui, cette inconnue jouissait d’un physique plutôt avantageux, quoique légèrement masculin. La brunette regarda l’étrangère, lui adressant un sourire amusé, presque provocateur. Le rapprochement entre les deux corps ne lui fit ni chaud ni froid, lançant juste en elle une incroyable sensation de mener cette femelle plus bas que terre. Cette dernière semblait sûre d’elle, presque poussée par une certaine envie de défier la Kirijin. Yuka riait intérieurement. S’il s’agissait d’une technique d’intimidation … Son efficacité laissait clairement à désirer.

L’inconnue, apparemment prénommée Luka, s’approcha davantage, menant son visage extrêmement près de celui de la brune. Un sourire taquin, presque pervers, emprisonna les lèvres de Yuka. Leurs prénoms se ressemblaient … Presque autant que leurs caractères. Si elle pensait que cette approche repousserait la Mitsuharu, ce fut encore un échec. Bien au contraire. La kunoichi plongea ses prunelles incarnates au fond des onyx de l’antagoniste. À la voir ainsi, elle n’était pas prête à agir de manière correcte, bien à l’inverse. S’enfoncer dans les abysses de l’indécence, du vice. Seule ? Non … Pas seule.

Poussée par un élan de pure folie, Yuka s’approcha davantage. Ses lèvres commencèrent par effleurer celles de Luka puis, peu après, un vrai baiser s’entama. Pourtant, différent de ceux offerts par amour, celui-ci suintait d’une certaine malice, d’un sentiment absolument répugnant, entre dégoût et mépris. Elle lui mordit la lèvre avec sadisme, perçant sa peau. Son hémoglobine se répandit dans la bouche de la brune, qui retint la demoiselle contre elle d’une main contre son dos. Désormais collés l’une contre l’autre, à moitié nues, les deux femmes pouvaient sembler en plein ébat. Cependant, rien ne grimpait en Yuka. Pas même une certaine excitation. Cette « bonnasse » ne lui faisait aucun effet. Elle l’amusait, simplement. Mais ce fut tout.

À nouveau, avec un accès de violence, la Mitsuharu empoigna un sein de Luka, le serrant avec une force presque désagréable. Plate. Aussi plate qu’elle. Un sourire se plaqua sur les lippes de la brune, qui commença à pétrir le peu de chair entre ses mains. Rapidement, elle relâcha l’étreinte, hissant ses lèvres près de l’oreille de la demoiselle.

« Adorable petite puce … Sache que si tu veux vraiment jouer à ce jeu, il faut aimer la douleur, être … masochiste ? Me lancer dans ce genre d’ébats ne me gêne pas … Mais … Je ne suis pas faite pour ce genre de jeux. Surtout pas avec toi … »

Elle lui mordit l’oreille avec sensualité, laissant glisser sa main en des contrées plus interdites, plus indécentes. Lentement, délicatement, Yuka effleurait, du bout des doigts, cette zone si sensible, si excitante, qui pouvait en éveiller plus d’une.

« À moins que … ? »

La brune remonta, serrant de nouveau l’étrangère contre elle. Après un moment de calme total, un combat de regards opposa les deux demoiselles. Ce dernier se conclut par un geste totalement indécent de la part de Yuka. Celle-ci envoya son genou, sans trop de violence, contre la fleur de Luka, le remuant légèrement.

« Je ne te donnerai pas mon nom … Tu es ici sur mon territoire. Alors tu te plies aux règles … Ou tu dégages. »

Provocation, provocation.
Il était temps de briser ses chaînes et de détruire tout ce qui l’entourait. Pas de limite, pas de contrainte. Juste un jeu destructeur, indécent, violent. Un jeu qui mêlait masochisme et sexe, folie furieuse et liberté totale. Un jeu où l’une des deux finirait par hurler. De douleur plus que de plaisir.

Elle s’appelait Yuka et rêvait de toucher le ciel. Un véritable paradoxe, pour une enfant destinée à rester sur la terre ferme. Un esprit libre dans un corps enchaîné. Une sorte d’entrave, qui l’empêchait de quitter cet univers pour en visiter un autre. L’éther, bien trop loin de ses doigts, lui semblait s’éloigner un peu plus à chaque seconde. Il disparaissait, s’échappait de son emprise pour la laisser là, seule face à ses vices et son côté incontrôlable. Une enfant qui suivait ses pulsions, sans jamais se soucier du reste. Pourtant, dans le cas d’un jeu purement charnel, le but restait tout de même d’y tirer un certain plaisir, non ? Là, Yuka se trouvait dans une situation totalement inconnue, où les sensations ne lui venaient pas. Cette demoiselle, bien que plutôt attirante, ne lui faisait … Aucun effet. Rien. Les caresses, appuyées ou non, lui paraissaient d’une inutilité indescriptible. Comme si son corps, d’un seul coup, s’était recouvert d’une couche de marbre pour ne plus rien ressentir. Le froid l’enveloppait d’une couverture toute particulière, annihilant chaque sensation. Même le contact avec le corps de l’inconnue ne lui faisait rien. Pas même l’émoustiller. Absolument rien. Que dalle. Niet. Le Néant.

Les griffures dans son dos lui rappelèrent à quel point, dans une situation des plus normales, cette violence l’aurait provoquée, menée dans des retranchements absolument fous, où la bataille se serait résolue par une pure démonstration de luxure. Un acte empli d’un besoin croissant de sexe, où les deux êtres s’assembleraient pour exercer, de manière extrêmement masochiste, une emprise sur l’autre. Un jeu de domination où la plus forte restait, évidemment, celle qui faisait le plus hurler l’autre. De douleur ou de plaisir. En tous les cas, le but ne changeait jamais : Obliger l’autre à en demander encore et encore. Cependant, dans cette situation, Yuka ne souhaitait pas entrer dans ce jeu. Elle savait à quel point son corps était incapable de s’y laisser porter sans protester. Tout d’abord, tout la retenait. Ensuite, rien ne lançait ses hormones. Et l’énervement, qui la gagnait peu à peu, semblait oblitérer un peu plus cette probable effusion de sensations fortes. Dommage, cela ne fonctionnerait pas.

« Bah, allez, bute-la. »

Et voilà comment laisser place à son second « moi » intérieur. D’une part, Kyurei semblait sur la bonne voie. Yuka commençait à ne plus supporter cette grognasse qui se croyait tout permis. Qui plus était, cette dernière se surélevait au-dessus de tout, avec un ego certainement trop prononcé. Pourtant, en territoire inconnu, voire même hostile, il lui fallait courber l’échine, se taire et admettre. Yuka ne supportait absolument pas ce comportement. Elle méritait d’être châtiée, brûlée vive. Encastrée dans un mur. Noyée. Oh, oui, noyée !

« La descendre, la descendre … La plonger dans une sensation de pure douleur, la faire taire … Ici elle n’est rien, que le chien de la société, celle qui n’a pas le droit d’être là. J’ai envie de la détruire, de lui faire bouffer le sable et de l’étouffer avec. Meurs, connasse. Je me vois bien la taper, lui asséner de bonnes grosses claques dans sa gueule pour qu’elle ne ressente que la douleur. Elle veut jouer, mais pas moi. Cette grognasse est incapable de me chauffer, de me faire sentir quelque chose. Rien, rien, rien du tout. Je ne le comprends pas, mais je m’en contrefiche. Elle traîne sur mon territoire et se croit sur le sien. Salope. Tu mérites le bûcher ! Et je ne tolérerai pas ta présence un peu plus … Tu dois dégager. Vire. Tu pourris mon air. »

Yuka sortit de l’eau, entièrement nue. Son corps, caressé par une douce brise d’été, semblait en symbiose avec la nature. Elle s’y sentait tellement bien. Tellement mieux qu’ailleurs. D’une démarche féline, rapide, la demoiselle s’approcha de l’étrangère et lui attrapa la main. Tirant dessus pour l’approcher d’elle, comme si le jeu continuait, la Mitsuharu finit pourtant par dériver. Sa main grimpa le long de son bras pour, finalement, l’étrangler. Elle serra aussi fort que possible, lui entrant les ongles dans la chair.

« Écoute, pétasse. Ici, tu n’es rien. Rien ne t’appartient. Alors tu vois, sale étrangère, je te somme de dégager tranquillement. »

Un sourire enfantin marquait son visage, réduisant toute la crédibilité de Yuka. Pourtant, une sorte de sadisme la transportait. Son emprise se resserra, perçant un peu plus la peau. D’un seul coup, elle lui mit un coup de genou entre les jambes, attrapant ses cheveux de son autre main. Tirant sèchement dessus, la brune tira l’étrangère vers le bas.

« Tu n’es qu’une étrangère … Alors ce que tu exiges ici n’a aucune importance. »

Son sourire s’agrandit. Elle relâcha la demoiselle, sans rien dire. Ses yeux carmins la fixaient avec cet air dédaigneux. Et puis, d’un seul coup, une tache vint ternir l’éclat de ses rubis. Plus aucune étoile. Juste une triste marque d’ennui pur.

« Et le pire … C’est que tu n’es pas en mesure … de m’exciter. Tu ne sers à rien et tu oses te mettre ici en réclamant cet endroit ? Tu n’es pas chez toi. Dégage. »

Une froideur sans fin. Une haine incommensurable. Cette femme n’était qu’un déchet. Quelque chose d’inutile. Une erreur de la nature. Qui se croyait importante. Quelle bonne blague. Yuka riait doucement, intérieurement.