L'homme est pris d'un accès de démence totale. Il se lève subitement dans un hurlement, pour se précipiter sur le premier client à sa portée et le frapper au visage avec violence. L'innocent tombe en arrière; un bruit étrange suggère que sa mâchoire n'est plus en aussi bon état que quelques secondes plus tôt. Il n'a pourtant rien demandé, mais semble en mauvais état lorsqu'il heurte le sol dans un bruit sourd. Le fou furieux s'est déjà jeté sur sa victime suivante. Si personne ne l'arrête, il semble qu'il sera capable de brutaliser la totalité des clients dans l'auberge. Bien que ce ne soit sûrement pas pour cette raison, Rakurai se décide à l'arrêter. Il se lève à son tour et s'approche de lui, dans son dos, sans qu'il ne le remarque. Il lui passe le bras autour de la gorge, serre violemment afin de l'étouffer. Dans l'assemblée, le silence est devenu maître. Tout le monde a les yeux rivés sur eux, mais personne ne peut voir ce qui se passe réellement. Sous son manteau, le shinobi a dégainé l'un de ses kodachi, avec lequel il a transpercé le corps du pauvre homme qu'il a définitivement rendu fou. Sans se préoccuper de qui que ce soit, il l'entraîne de force à l'extérieur, bousculant sans scrupule les clients ébahis. Il s'éloigne aussi vite qu'il le peut, entraînant avec lui le corps toujours vivant dans l'intention de l'emmener dans la forêt qui limite la clairière. Certains clients les ont suivis, mais ils ne poussent pas la curiosité lorsqu'ils les voient disparaître derrière les arbres.
[...]
La porte de l'auberge s'ouvre à nouveau, toujours dans le même grincement. Voilà Rakurai qui réapparaît dans l'encadrement, le visage impassible, silencieux, seul. Il n'est pas compliqué de deviner ce qu'il a fait au fou furieux, mais il est impossible d'avoir une certitude quelconque. Si un curieux venait à aller explorer la forêt non loin en quête de preuves, ce serait peine perdue. Il fait ça avec bien trop de soin pour que qui que ce soit puisse le lui reprocher. L'air de rien, comme si l'incident d'il y a quelque instant n'était qu'un rêve, ou un cauchemar, il réitère exactement les même mouvements que lors de son arrivée. Il avance parmi la foule qui commence enfin à détourner les yeux de lui, alors que les conversations reprennent lentement, d'abord murmure quelque peu timide, puis devenant brouhaha de fond désagréable. Enfin, il arrive au bar. Il s'arrête, trouve une chaise, puis se demande ce qu'il va faire, maintenant. Mission finie, mais plus d'endroit où aller. C'est pas comme si il avait sans arrêt des demandes - heureusement d'ailleurs, c'est pas un forcené non plus. Et, maintenant, il est à Ame. C'est loin de Tetsu, ça. De toutes façons, il ne compte pas retourner dans ce pays avant un bon bout de temps - il y a déjà vécu plusieurs mois avant de le quitter, ça lui a suffi. A présent, il n'a donc ni objectif, ni endroit où aller. Il va peut-être rester là pour la nuit, qui sait. Le mieux, dans les moments de doute intense comme celui-ci, c'est toujours de les accompagner d'une bonne boisson - ça n'arrange rien, mais au moins c'est agréable. Il sort donc de son silence pour demander de sa voix grave, neutre.
" Tavernier ! J'veux un truc goûtu, rafraîchissant, désaltérant et qui aide à pas s'faire chier ! T'as quelque chose comme ça ? "