Dans une prochaine vie, on dira que tu es un papillon et que je t’attraperai. Pour te briser les ailes. T’emprisonner dans une cage dorée. T’arracher la vie. T’épingler à un mur. Pour faire de toi l’objet de mes pires excès, tu auras une place de maitre dans ma collection. Et en attendant, cette enfant - Umeko - n’était rien. Que du vent dans le désert, qui lui échappait à chaque fois. Ce jour-ci, Ake se souvenait ce qu’elle faisait là. Ce pourquoi elle avait accepté d’endurer les sarcasmes de dizaines de personnes, et d’endurer les coups de poings, de Soleil, et de poute des Hommes. Elle souriait de cette victoire. Mais ça n’en était pas vraiment une. Dans une prochaine vie, on dira que tu es mon coeur : dans cette vie-là je me suiciderai d'un coup de poignard. Mais pour l'instant elle vivait, et sa soeur aussi visiblement. Elle avait reçu, un peu plus tôt, le charmant message de Karas qui la priait de venir. Homme de parole ? Qu'importait ; elle n'avait alors plus en tête la recherche de sa soeur et ce personnage lui était toujours un peu irritant. Comme si, malgré le temps qui s'était écoulé et les revirements de position de la dame, la premiere impression qu'elle avait eut de lui et son attitude agaçante perduraient. Rancunière certainement, ou du moins avec certaines personnes. Enfin, elle se décidait cependant à répondre au rendez-vous en y allant : ne savait-on jamais qu'il soit tellement de bonne parole, et ne chante pas des bêtises comme d'ordinaire.

Et maintenant, rendue aux Grottes du Temps, Ake découvrait avec effroi que non seulement il avait tenu une promesse qu'elle-même aurait oublié mais qu'en plus, s'agissant bien de la bonne personne - malgré quelques traits plus étirés et l'attitude plus altière Ake aurait su reconnaitre ce bout de femme entre milles -, tout un voile de souffrance et de folie pourrait s'envoler. C'était son intime conviction, le sentiment de toucher du doigt un rouage essentiel à sa libération. Sûrement se berçait-elle d'illusions ? Elle en ferait les frais plus tard. Karas souriait, et Ake lui en voulait pour cette satisfaction qu'elle jugeait un poil déplacée. Mais d'un autre côté, il semblait aussi anormalement touché d'avoir réussi à les réunir et d'assister à ce moment, alors peut-être que son sourire partait d'un bon sentiment. Il ne pouvait pas savoir - personne ne pouvait deviner. Et tandis que la Sunajin s'était parfaitement immobilisée face à la silhouette de sa soeur, il manifestait encore son contentement. Oh Karas, désolée, sincèrement. Elle voulait lui expliquer, mais c'était impossible. Plus rien ne voulait sortir de sa bouche, et plus aucun de ses muscles ne voulait s'activer.

Ake avait longuement préparé ce moment, et elle je doutait pas qu'Umeko ait fait de même. Elle pensait avoir exploré tous les cas de figure possibles, toutes les situations de rencontre. Elle avait cru prévoir l'imprévisible. Si elle la retrouvait elle-même, si Umeko se présentait à elle de son plein gré, si la rencontre était fortuite, si quelqu'un la retrouvait pour elle... Mais visiblement, elle n'avait pas suffisamment creusé : au moins une issue à la probabilité infime lui avait échappée. Qu'on la retrouve pour elle, mais non pas qu'on lui indique son lieu de résidence sinon qu'on lui improvise un rendez-vous. C'était la pire chose qui puisse lui arriver à vrai dire, surtout si la rencontre se faisait en présence de la tierce personne. Voilà que la dame était prise au dépourvu. Alors elle ne bougeait pas, figée entre deux expressions. La douleur et l'incompréhension. Elle ne faisait pas un geste et même si son esprit criait que ça n'était pas normal, que cette attitude pourrait alarmer les gens présents, il n'y avait rien à faire. Ce qui débloqua complètement la situation fut le petit mouvement à peine perceptible d'Umeko. Un sourire. Ce sourire immonde. Insupportable pour Ake. Et elle sentit d'un seul coup toute sa haine remonter ; elle désirait hurler. Et puis... La tuer. Ake fit un pas, puis un autre vers sa soeur. Souriante d'une fausse joie. Tandis qu'Umeko abordait un sourire de triomphe. Le même sourire que lorsqu'elle gagnait par une victoire écrasante aux échecs.

« Merci beaucoup. » Ake soufflait sa gratitude envers l'homme. Cela sonnait vrai, car c'était sincère. Et en même temps tellement faux. La demoiselle écartait finalement ses bras pour venir y loger Umeko. Un premier contact étrange, Ake frissonnait mais se forçait à maintenir l'accolade. Et puis elle se mit à pleurer comme sa soeur lui rendait son étreinte. Une tristesse féroce, une fatigue immense ou une haine terrible. Les raisons pouvaient être variées. Mais de la douleur surtout : cette impression que son coeur se réduisait, pressé comme une éponge. Et elle voulait hurler. Hurler, et la frapper. De toute ses forces. Voir que sous ses coups, la peau d'Umeko se tâchait de bleu, et de rouge là où elle se déchirait. Alors Ake pleurait. Et en même temps des spasmes l'agitaient. D'un seul coup, elle se redressa et tendit ses mains droit devant elle. S'aggripant au cou de la belle de ses dix doigts, elle se mit à presser cette pauvre chair comme son coeur se réduisait. Et tout en pleurant, tout en étranglant cette pauvre femme qui n'arrivait pas à sortir de son étreinte mais qui souriait toujours de façon mauvaise, Ake se mit à hurler. « Karas ! Elle veut me tuer ! Umeko... Ma mort, Karas ! Pitié, elle me fait mal... »

Karas avait répondu très rapidement à l'appel de la demoiselle, et même s'il était resté un moment perdu, sa réaction avait été suffisamment rapide pour limiter les dégâts. Il était juste, pensait Ake. Et même si elle ne voulait pas lâcher prise, même si le désir de donner la mort était le plus fort, elle continuait de penser que Karas prenait des mesures qui s'imposaient. Souhaitait-elle vraiment la suppression de sa sœur pour se sentir si rassurée de la présence du Triumvir ? Oui, oui... Bien sûr. Mais c'était pour sa mort à elle qu'elle craignait. Les larmes de l'enfant s'estompaient. Il s'était jeté sur elle, mettant tout son corps dans la lutte ; elle s'était écroulée au sol, comme son corps à elle était bien trop faible. Elle n'avait pas toujours été ainsi, tantôt bien plus forte, tantôt bien plus malade. Elle reprenait de jours en jours sa corpulence passée, mais ce n'était que peu de choses face à un homme tel que lui. La chute lui avait tirée une grimace, et Ake restait immobile un certain temps, comme sonnée. Elle ne savait plus trop où elle avait mal : si c'était au dos d'être tombée, aux mains d'être toujours crispée comme si elle tenait le cou d'Umeko, ou à la tête d'être prise d'un moment de folie incontrôlable. Elle était là, et elle n'avait soudainement plus la force de bouger. J'aimerais mieux disparaître ; laisse-moi ainsi, je mourrai de mon immobilité.

« Excusez-la, Ake ne voulait pas vous blesser comme ça. » Umeko prenait pour la première fois la parole, en réponse aux incompréhensions formulées du Sunajin. La première fois. Depuis des mois, des années maintenant. Ce n'était plus la voix qui habitait l'esprit de la Genin, elle avait changé. Et pourtant, c'était toujours strictement les mêmes paroles. Ake ne voulait pas te blesser... Ake ne voulait pas être méchante... Et Umeko alors ? Était-elle stupide de toujours vouloir défendre Ake, même dans ses actes les plus méchants et cruels ? Ça n'était plus la même voix. Ake sentait la colère poindre en elle. « Umeko n'avait pas la même voix. Umeko n'avait pas le même sourire. » Où est mon enfant ? « Où as-tu enterré son corps, dans quel tombe ?! » Ake s'énervait, s'embrouillait. Elle eut un sursaut d'angoisse et se releva promptement - trop sans doute car sa tête lui tourna un peu. Elle empoigna le bras de Karas qui s'était glissé entre elles deux, et le serra avec force - certes moins que celle avec laquelle elle avait cru étrangler sa sœur. Sauve-moi, voulait-elle formuler. Rien ne sortait. Il ne comprendrait pas. Il ne comprenait déjà plus. Mais comment expliquer quelque chose qu'on avait soi-même du mal à admettre, à s'expliquer ?

Ake, ne lâchant pas sa prise sur Karas - de peur qu'il parte de nouveau ? -, porta ses yeux vers l'autre enfant. Elle ne souriait plus ; c'était une belle femme constituée en opposition à Ake. Couleurs et formes, tout était plus vif et plus gracieux. Alors voilà, elles avaient échangées leurs rôles ? Pas complètement encore. Mais celle qui pleurait, c'était Ake. Celle qui abordait cet air fier et moqueur, c'était Umeko. Comment avait-elle pu devenir de la sorte...
Umeko s'était désintéressée de la vie. À force de vouloir ressembler à sa sœur, de tout faire pour, et de n'être jamais récompensée pour ses efforts que par des coups et des paroles crues. Elle n'avait plus trouvé d'intérêt à répandre sa bonté, si la personne qu'elle aimait le plus la haïssait le plus aussi, si celle-ci l'abandonnait tristement - et lâchement - dès que l'occasion se présentait. Mais en se détachant de la vie, elle n'avait pas cherché la mort. Du moins, pas la sienne. Nihiliste finalement, Umeko avait préféré la destruction de ce qui ne pouvait pas exister de toute évidence. C'était ce qu'avait cru comprendre Ake en lisant quelques notes éparses néanmoins.

Ake n'aimait pas ce changement. Elle le haïssait même. Et lorsqu'Umeko avait abandonné toute sa vitalité, c'était en réalité la première fois qu'elle haïssait sincèrement sa frangine : avant, ce n'était que futile, éphémère et sans réelle consistance. Mais c'était trop tard. Ce que l'une ou l'autre avait cru ou croyait encore ne pouvait plus être réparé. Comment l'expliquer ? Ake regardait Umeko, et elle se perdait encore plus. Entre ses souvenirs, ses explications confuses qu'elle n'arrivait pas à formuler, ses pulsions meurtrières qui allaient à un rythme irrégulier - et elle serrait de nouveau le bras de son Chef quand elle croyait ne plus pouvoir tenir, tout en se répétant qu'il fallait attendre quelques secondes de plus seulement - et ses différents maux... Voir que cette femme, si douce et si sensible, était maintenant capable de rester de marbre... Elle portait les marques des mains de la Sunajin dans le cou, et de ses griffes aussi à en juger par les toutes petites croûtes rougeâtres. « Karas, tu as sauvé deux âmes aujourd'hui. La mienne car elle ne me tueras pas, et la sienne car la mort reste la seule libération à sa souffrance. » Ake essaya alors de le prendre de vitesse : elle tira en arrière ce bras qu'elle tenait pour se jeter en avant vers sa sœur. Ce fut se moment que cette dernière choisit pour brandir son arme tout juste sortie de sa poche et la lancer. Un petit couteau qu'elle traînait partout - parce qu'ils étaient dans un village shinobi, ou parce qu'elle était parano. Ake dû faire un geste de repli, mais comme elle était déjà en plein élan, il vint se ficher dans son épaule. « Excusez-la, elle ne sait pas ce qu'elle dit. Laissez-moi la corriger. »

Je t'ai touché Ake, et je te tuerai au prochain coup. Le mal est passé. Il ne te rattrapera pas. Ils oubliront bien vite que tu n'es plus des nôtres. Ton sourire enfin s'éteindra.