Une journée comme une autre dans la vie de Kiyoshi. Petit footing matinal, exercices physiques. Vérification de ses missives voir s'il n'avait pas reçu de mission. Nope. Cette période était plutôt calme. Tant mieux, il pouvait vaquer à ses occupations et continuer de s'entraîner comme à son habitude. Matin, midi et soir. De la course, de la musculation, des exercices de frappe. Encore et encore. Il fallait que son corps prenne du volume, qu'il aille plus vite, qu'il soit plus fort. Tel était son mantra depuis quelques années.

A cela s'ajoutaient des repas ultra-protéinés composés d'oeufs, de viandes rouges et de légumes en grande quantité. Et de patates. Et de fromages. Et de poisson. Tout ce qui lui passait sous la main en réalité. Il avait tout le temps faim car il s'entrainait tout le temps. Finissant sa 1000ème pompe de la journée, il ne pût s'empêcher de saliver en pensant à une bonne entrecôte bien saisie sur un bon barbecue accompagnée d'une petite purée de carottes et d'un gratin dauphinois. Hmmm le rêve. Le tout revenu dans son émincé d'échalottes et d'oignons. Un pur délice. De cette simple pensée, son estomac émit un gargouillement qu'il n'aurait jamais cru possible. On eût presque dit un aboiement.

Il avait faim. Terriblement faim.

Prenant une douche froide assez rapide, il se changea et quitta les terrains d'entrainements pour aller en direction des niveaux commerçants, où se trouvaient de nombreux petits restaurants qui ne payaient pas de mine mais qui, pour quelques ryos, vous remplissaient la panse comme jamais. Il mît du temps à faire son choix tant les senteurs l'attiraient à gauche et à droite. Il faillit s'évanouir en ne sachant pas où aller mais une senteur l'attira plus que les autres. Le restaurant s'appelait Le Paradis des Mille Epices. Il n'était jamais venu ici car l'endroit était un peu isolé mais les odeurs qui en émanaient lui tordaient le ventre dans tous les sens.

Il entra à moitié courbé, une main sur le ventre et s'assit sur la première sans prêter attention à la salle. Il commanda sans même faire attention à la serveuse qui était des plus charmantes. Ses mains étaient crispées sur la table tandis qu'il énumérait tous les plats qu'il voulait. Le service était ultra-rapide, probablement dû au peu de personnes qui fréquentaient ce restaurant.

L'assiette de curry arriva brûlante sur sa table et il engloûtit une bouchée en toute urgence. La texture du curry était parfaite. Celui-ci glissa directement dans son estomac en une simple déglution. Mon Dieu que c'était bon. Il leva les yeux en ingurgitant son curry. Devant lui, un homme terminait son dixième bol de curry.

"Woooooooooh! Encore un autre! Plus épicé!"

Un flashback rapide fit sourire Kiyoshi et le ramena quelques années en arrière.

"M. Piment ? C'est toi ?"

Croiser Adrix ici. Quelle coincidence! Quand ils s'étaient rencontrés il y a un an, ils étaient aussi en train de manger. Il rejoignit son camarade à sa table tandis qu'Adrix lançait une deuxième fournée. Et il offrait en plus. Son estomac fit un gargouillis d'approbation tandis qu'on leur apportait deux assiettes encore fumantes et pleines d'épices plus colorées les une des autres.

Bon. Cette partie de bouffe Fighter IV s'annonçait plus intéressante que prévu. Il sourit avec Adrix. Ils savaient tous les deux que la partie ne faisait que commencer. Ils s'étaient rencontrés comme ça une année auparavant. Lors d'un concours de nourriture. Kiyoshi avait remporté de peu. Les plats n'étaient pas assez épicés selon Adrix. En tout cas, ici, ce n'était pas le cas. Leur revanche venait de commencer. Pas besoin de discussion inutile. Le perdant payait le repas.

Kiyoshi fît le fameux signe au serveur. Le pouce vers le bas. Soit il connaissait, soit il ne connaissait pas. A voir son sourire et au vu de la courbette qu'il fît, il était initié. Le match de nourriture venait de commencer. Il entendit crier en cuisine tandis que les deux assiettes suivantes arrivaient.

Plantant sa cuillère dans le curry, il en engloutît une bonne moitié d'un coup et goba l'autre moitié. BON DIEU. Il avait toujours fin. Il profita de ce petit répit avant l'arrivée des troisièmes plats pour charrier le Yogan et discuter avec lui.

"Tu deviens quoi bonhomme? Tu t'es remis de ta défaite de l'an dernier?"

Adrix savait parfaitement ce que son interlocuteur du moment avait en tête. Un simple regard leur suffisait à communiquer l'idée puérile qui leur trottait tous deux dans la tête, vestige de leur dernier affrontement. Si leur rencontre précédente datait maintenant de plusieurs mois, son image restait vivace dans l'esprit du Shinobi. Il avait été humilié à un concours de nourriture. Pas que son appétit ait été en reste, mais les préparations étaient trop quelconques pour que son estomac n'en tolère l'exposition prolongée. Il revoyait encore la figure triomphante de Kiyoshi, qui le narguait trophée à la main.
Aujourd'hui, l'heure de la revanche avait sonnée. Un affrontement d'homme à homme comme seul pouvait en créer les passions brûlantes et les estomacs vides.

Kiyoshi fut le premier à initier l'affrontement, sous l'oeil approbateur du patron. Ce genre d'activité était bon pour les affaires. Connaissant la personnalité extrême du Yôgan, il en ferait un tel cirque que cela risquait même d'attirer les curieux dans son établissement. Bien sûr, le shinobi ne manqua pas l'occasion de rappeler son précédent triomphe lors de leur dernier duel.
S'il avait été possible de foudroyer un homme du regard, il ne resterait plus de Kiyoshi qu'un petit tas de cendres fumantes. Plus que de la colère, Adrix puisait dans cette frustration une nouvelle forme de motivation. Il n'avait pas l'intention de se laisser avoir une seconde fois. Son honneur de ninja dépendait de ce curry ! Cette rivalité amicale qui liait les deux hommes était aussi ridicule qu'elle était distrayante. Adrix n'avait que peu d'amis, et si Kiyoshi n'en était pas vraiment un, il lui donnait au moins quelqu'un à qui se mesurer.

- Une défaite ? Tout ce dont je me souviens, c'est de te voir te gaver de carton pâte sans saveurs comme un goret ! Je n'allais pas gâcher mes belles papilles avec cette bouillie fade !

D'un air satisfait, il huma les plats que le patron venait de leur apporter. Quel fumet ! Il sentait déjà toutes les petites explosions lui chatouiller les narines. Rien à voir avec la mixture maussade de l'autre fois. C'était un plat d'homme !

- Aujourd'hui c'est différent, nous avons de la vraie nourriture sous le nez !

Il tapota fièrement de sa cuillière la quasi dizaine d'assiettes vides qui trônaient déjà à côté de lui.

- Je suis bon prince, je te laisse même une longueur d'avance, amateur !

Attrapant son assiette d'une main, il en avala le contenu à une vitesse prodigieuse. Ses années de pratique dans le milieu très sophistiqué du curry lui avait permis de développer des techniques de consommation optimales, réduisant la mastication à son strict nécessaire pour garder une cadence élevée. Il avait passé des jours à peaufiner ce talent inutile.

- Le perdant devra payer à boire à l'autre jusqu'à la fin du mois !

Dix assiettes d'avance. Il partait avec un sérieux désavantage. Son camarade était beaucoup plus féroce sur des plats épicés et il était endurant. Hmpf! La dernière fois, il avait vaincu car la faim le tiraillait depuis une journée entière suite à des tests médicaux où il fallait être à jeun et le plat était un gruau immonde. Pourtant, il se rappelait de cette bouillie infâme comme d'un des meilleurs mets qu'il ait jamais mangé. Un pur délice. Il se voyait boire la mixture immonde qui terrassait déjà de coliques les autres concurrents. Seul Adrix avait tenu bon mais il avait cédé. Aujourd'hui, il sentait que cela allait être le contraire.

En moins de cinq minutes, il avait déjà rattrapé les assiettes de retard mais son estomac accusait le coup. Ce salaud digérait déjà les dix plats alors que lui venait de les ingérer. L'avance était non négligeable même s'ils étaient à égalité sur le papier.

Les plats défilaient encore sur la table mais ses yeux commençaient à être humides. Saloperies d'épices. Bon dieu mais que mettaient-ils là dedans? Au sourire d'Adrix, Kiyoshi comprît que ses chances étaient quasi nulles aujourd'hui. Le paprika qui lui arrachait la gorge avec son petit frère piment n'étaient que du petit lait pour le Yogan.

Ca y est. Il pleurait clairement tellement les épices montaient en intensité au fur et à mesure. Mais il ne pouvait pas prendre d'eau. Boire de l'eau signifiait remplir son estomac d'une quantité qui ne comptait pas au score. De plus, cela risquait de l'entraver plus qu'autre chose. Il fallait qu'il perde dignement. Ses bouchées ne perdaient pas en vitesse. Il tenait le rythme du Yogan. Quinzes assiettes. Promis, il arrêterait à vingt.

Douze assiettes après sa quinzième, il jeta sa serviette au sol en signe de capitulation. Ouf. Il était plein. Un tonneau, une barrique. Un container vivant de nourriture. Il reconnût qu'il avait trop forcé à la petite douleur mi-musculaire mi-nerveuse qui apparaissait au niveau de son plexus solaire quand il avait trop mangé. Il n'avait jamais su si c'était normal mais cette petit douleur était du côté gauche de sa poitrine. Du côté du coeur. Bref. Paranoïa pour rien, il avait juste trop mangé.

Il topa la main de son camarade de repas. Repu.

"Bon... Un partout la balle au centre. On se remet ça une autre fois."

Le gargouillement de son estomac s'était arrêté depuis un petit moment. Maintenant, les toilettes allaient en prendre pour leur grade d'ici quelques heures. Dieu ait pitié de leur âme.

"Sinon, tu es dans une équipe? T'es sur Iwa en ce moment?"

Dans la précipitation du repas, ils n'avaient pas tant discuté. Place aux ronds de jambes désormais. Enfin, plutôt place à quelques bonnes tranches de camaraderie. Il aimait bien ce type.

Assiette après assiette, la main du shinobi bougeait inlassablement pour porter la nourriture à ses lèvres. Il avait l'impression de faire de la plongée, ne s'autorisant que le strict nécessaire de pause pour respirer. Chaque instant passé à autre chose qu'enfourner du curry dans sa bouche laissait une occasion à son cerveau de réaliser la croissante sensation de sa satiété.
Son corps tout entier protestait contre cet abus alimentaire. Le curry lui remontait jusqu'au fond de la gorge, tant et si bien qu'il avait la sensation de n'être qu'une énorme gourde remplie de nourriture. Le brasier qui lui montait au cerveau n'aidait en rien. Sa langue était en feu et ses narines étaient comme carbonisée par l'assaut constant des âromes entêtants. Des débuts de larme perlaient dans le coin de ses yeux.

Fort heureusement, il était loin d'être le plus mal au point dans cette affaire. Du coin de l'oeil Adrix pouvait voir la cadence de son adversaire fléchir sous l'assaut des épices. Fufu, si lui commençait à fléchir, la sensation devait être tout simplement infernal pour quelqu'un qui ne partageait pas son régime. Pour le shinobi habitué à la caresse de la lave, cet incendie qui le consummait de l'intérieur n'était rien de plus qu'un doux sentiment familier. Pire, le Yôgan se complaisait dans cette douleur ardente.

Triomphant, Adrix frappa du poing sur la table, annonçant la fin du duel alors qu'il reposait la dernière assiette. Une fois de plus que Kiyoshi. Et il était persuadé de pouvoir en avaler une ou deux de plus avant de devoir à son tour rendre les armes. Une estimation que sa bedaine tendue et grondante le décourageait de mettre au défi. Qu'il était doux de triompher, il sentait son torse de gonfler de fierté. A moins que ce ne soit que l'énorme rôt qu'il avait au bout des lèvres.

"Bon... Un partout la balle au centre. On se remet ça une autre fois."

- Avec plaisir ! Mais puisqu'on y est...

Il rappela le patron d'un geste.

- Patron, deux coupelles de saké pour mon ami et moi ! Sur sa note !

Autant profiter de ce petit pari tant qu'il le pouvait. Qui plus est, un peu d'alcool aiderait tant à digérer ce festin qu'à la conversation. Son interlocuteur ne semblait pas désireux de repartir immédiatement, ce qui était plutôt bon signe.

"Sinon, tu es dans une équipe? T'es sur Iwa en ce moment?"

Adrix leva un sourcil, incertain de la signification de cette demande. Il n'était jamais parvenu à rejoindre une véritable équipe. Son arrivée dans le village était encore récente et, méfiance des étrangers à part, les gens le trouvaient trop extrême pour être un coéquipier agréable. Les shinobis préféraient les gens calmes aux braillards clamant leurs convictions tout le jour durant.
C'est donc avec une certaine mélancolie dissimulée derrière un sourire nonchalant qu'Adrix reprit la parole.

- Hélas non je n'ai pas d'équipe. Il faut croire que j'impressionne les gens. A dire vrai, si tu es en train de me proposer un rendez vous galant entre ninjas, ce serait une riche idée