¤ Abordage ~

(#) Sujet: ¤ Abordage ~ Mer 22 Mar 2017 - 20:12

Le navire bourru et marqué par les années de voyage maritime était amarré au port de Chiheisei depuis quelques heures déjà. A son bord, la Capitaine était restée en compagnie d'une bonne partie de l'équipage, qui s'acquittait de travaux de maintenance et de nettoyage sur le Jiritsu. Les plus fidèles lieutenants de Maya, eux, avaient quitté le navire avec leur dernière prise, un riche marchand d'affaire qui n'avait pas daigné assumer ses responsabilités auprès de ses derniers clients. Pas assez en tout cas pour que les dits clients ne se sentent pas ouvertement floués, ce qui avait mené à une chasse à l'homme en bonne et due forme. Une traque à travers les mers et les pays, qui avait conduit le Jiritsu et sa Capitaine vers l'archipel de Mizu et ses souvenirs encore ardents en sa mémoire. Il s'agissait là d'un contrat particulièrement intéressant pour la troupe et sa leader, car la colère des victimes des finances douteuses de leur cible les avait poussé à payer extraordinairement bien ce travail. En plus des Ryos que Hideyaki et Idetaka allaient ramener à bord une fois leur marchandise humaine livrée, l'équipage pourrait également se partager toutes les richesses qu'ils avaient trouvé lorsqu'il avaient fini par intercepter leur cible. Un terme du contrat qui n'avait pas été très difficile à négocier, et qui rendait en ce jour ce voyage très juteux.

L'argent... Il faisait, en ce monde, à peu près tout, pour peu qu'on avait l'intelligence de ne pas s'afficher ostensiblement avec. C'était une leçon qu'avait apprise Maya très peu de temps après avoir quitté sa famille en plein essor, pour fuir ce malaise qui était né en elle. Elle aurait pu s'abandonner au bonheur, complètement, ce bonheur difficile qui requérait des efforts en dedans et en dehors, mais elle s'y était refusée. La place qu'occupaient le Gembei et sa progéniture dans son cœur était réelle, mais le monde, tout autours d'eux, l'avait poussé à repousser cette immobilité. En un sens, dans son esprit, elle n'aurait jamais du être mère, n'aurait jamais du rencontrer cet homme si généreux et passer ce temps avec lui. Ses cicatrices, ses aspirations, aussi crédules qu'elles pouvaient être, n'avaient pas pu prendre la forme du moule dans lequel elle avait failli s'inscrire, et l'avaient mené là où elle était aujourd'hui : à la tête d'un équipage loyal et dévoué, en quête du plus grand profit. Un profit, cependant, qu'ils ne faisaient pas sur le dos de n'importe qui. Le code, celui que Maya appliquait et imposait à ses hommes, était très strict, et la moindre incartade à celui-ci coûtait généralement la vie à l'offensant, quand il n'avait pas la chance d'être simplement banni du navire et dépossédé de tous ses biens.

En ce début de soirée, où régnait un calme relatif sur les quais d'ordinaire toujours bondés de monde, Maya s'était retranchée dans sa cabine pour se mettre un peu à l'aise. L'eau dans laquelle mouillait le Jiritsu, et qui l'entourait de son aura bienfaitrice, l'aidait à canaliser ses pensées, à les focaliser sur une tâche précise pour être le plus efficace possible. Le feu, en elle, était au repos. Écrivant sur son pupitre à l'aide d'une plume et d'un encrier, elle détaillait l'inventaire des biens saisis, un travail un peu ingrat mais qui lui incombait pour la justesse des répartitions à venir. Mais un silence, qui n'avait rien d'ordinaire, finit par lui faire lever le nez de son plan de travail. Une main sur la garde du sabre à son côté, elle se releva, ses sens aux aguets, en surveillant les lanternes au dehors. Des ombres vagues, multiples, les obscurcirent plusieurs fois. Sans hésiter un instant de plus, elle dégaina et pressa le pas en direction du mur opposé pour enfoncer le bouton qui s'y trouvait. Un son vrombissant, sourd et lourd se mit alors à jaillir d'un peu partout sur le bateau. Un signal qu'allaient rapidement reconnaître les subalternes de la Capitaine...

Les pensées de Maya n'allèrent pas immédiatement vers Idetaka et Hideyaki, ses deux lieutenants qui avaient été chargés d'opérer la transaction avec leur client. Il était en effet évident, étant données la situation et l'attaque en règle que s'apprêtait à subir le navire et son équipage, que quelque chose avait du mal tourner lors de l'échange de leur prise contre les Ryos sonnants et trébuchants qui avaient été convenus. Les employeurs de la Capitaine, il semblait, avaient pour ambition de se passer de la phase de paiement, et comptaient de surcroît piller les quelques trésors raflés sur le Jiritsu afin de compléter une opération qui deviendrait de facto particulièrement rentable pour eux. Une manœuvre basse, vile, et surtout motivée par l'argent, encore et toujours l'argent. Tandis qu'elle enclenchait le système de sécurité de sa cabine, Maya sortit à pas de loups dans la coursive attenante et rejoignit le pont en quatrième vitesse. Elle connaissait ce navire comme son propre corps, et y naviguait comme un micro-organisme en totale symbiose avec lui.

Le son vrombissant s'était tu. Il était inutile qu'il continue à se faire entendre plus longtemps : son unique but était de mettre tout l'équipage en état d'alerte maximum et de le préparer à un abordage, ce qui était assez rare lorsque le Jiritsu mouillait dans un port, mais demeurait une éventualité quand des clients un peu trop entreprenants, comme ici, voulaient obtenir le beurre, l'argent du beurre et la crémière. En projetant immédiatement son regard vers la passerelle qui reliait le navire aux quais, Maya vit le matelot en charge de la surveillance parer un premier coup de katana, asséné par une silhouette encapuchonnée suivit de nombreuses autres. Le coup suivant l'éventra en lui arrachant un cri et son corps fut propulsé dans l'eau par un coup de pied. Décidés à suivre leurs ordres et à subtiliser les richesses du Jiritsu, le groupe d'une douzaine d'assaillants déboula ensuite en trombe, conscient d'avoir été repéré. Dans tous les recoins du navire, l'équipage s'était armé et préparé, et déjà plusieurs subalternes de la Capitaine sortaient des cales et des quartiers de l'équipage armés jusqu'aux dents.

« Un seul survivant ! » hurla Maya à l'attention de tous ses hommes.

Sans davantage de préambule, ses yeux écarquillés et concentrés sur ses adversaires, la Capitaine entama son ballet macabre. Rarement était-elle aussi intraitable et impitoyable que lorsqu'on menaçait son équipage et ses intérêts financiers, deux choses qu'elle avait à cœur de protéger. Un paradoxe auquel elle se refusait à penser, quand on considérait les deux choses très précieuses qu'elle avait laissé derrière elle il y avait de ça presque une décennie. Deux êtres qu'elle avait renoncé à côtoyer, à protéger et à chérir... mais vers lesquelles aucune pensée n'alla de sa part, en cet instant précis, alors que son sabre paraît et tranchait à tout va. Faisant glisser les katanas de ses adversaires sur sa lame, elle décocha plusieurs coups de pommeau et transperça les maigres protections portées par les assaillants, laissant les quelques intrépides qui passaient plusieurs mètres sur son côté être interceptés par ses matelots entraînés. Très vite, il devint clair pour les attaquants que tout ce qu'ils pourraient récupérer sur ce rafiot était une mort rapide et expéditive : face à la furie de Maya, qui venait de décimer la moitié de leur groupe à elle seule, les quatre survivants un peu hésitants entamèrent une retraite hasardeuse et maladroite.

Animée par le feu primordial du combat, celui qui brûlait en elle continuellement et qu'elle devait canaliser pour le bien commun, la Capitaine coupa rapidement la trajectoire des fuyards en se plaçant d'un bond face à la passerelle. Une traînée de feu presque imperceptible illumina la nuit dans son sillage, comme si son déplacement lui-même avait mis le feu à l'air ambiant. Sans un mot, suivant ses propres consignes, elle trancha l'abdomen du plus proche des assaillants, para, riposta et empala afin de ne laisser qu'un seul et unique survivant, qu'elle envoya bouler en arrière d'un coup de pied bien placé. Faisant darder le pointu de son sabre vers le cou de sa victime, la Capitaine afficha un air plus dur que jamais tandis que ses hommes sécurisaient le pont en s'occupant des corps. D'un coup net et précis, elle trancha la capuche pour laisser le visage de l'individu apparaître.

« Vos employeurs n'ont pas pu s'en empêcher, n'est-ce pas. Mes hommes. Où sont-ils. » demanda-t-elle, inflexible.

Voyant sa mort en face, l'individu au regard paniqué respirait lourdement et avec peine. Pas tout à fait le genre de mercenaire de haute volée auquel Maya s'attendait de la part de ses employeurs plutôt fortunés. Ils voulaient décidément rogner sur les moindres dépenses... La Capitaine se permit d'insister, impatiente, en plaquant délicatement le tranchant du sabre sur la nuque du vaincu.

« Peu importe ce qu'un esprit minable comme le tiens a pu entendre, tu vas me le répéter, tu as compris ? Tout de suite. »

Dans ce genre de situation, la rapidité était la clef. Réagir au plus vite, prendre ses adversaires de court, les surprendre avant qu'ils ne puissent tenter de se préparer. Pour autant que les employeurs des tueurs et voleurs envoyés piller le Jiritsu pouvaient le savoir, le plan se déroulait encore sans accroc , et ils attendaient encore patiemment le retour de leurs sous-fifres, confortablement installé dans les banquettes du club privé dans lequel ils s'étaient installés pour la soirée. Mais Maya, elle, après avoir interrogé le survivant du groupe d'attaque, était pour le moment concentrée sur le sauvetage de ses plus fidèles lieutenants, qui étaient aussi les plus compétents. La Capitaine n'avait pas eu à insister bien longtemps auprès de son prisonnier, et quelques entailles plus tard, il lui avait communiqué avec moult précisions l'emplacement d'un hangar en marge du port, un hangar bien gardé et qui servait de plaque tournante pour les activités plus ou moins licites de certains groupuscules locaux. L'argent, aussi important qu'il était aux yeux de Maya, ne représentait en cet instant plus grand chose pour elle : elle devait secourir ses lieutenants, qui avaient eu la bêtise de se faire surprendre, pour mieux les punir par la suite. La prudence était toutefois de mise, car si Hideyaki et Idetaka s'étaient fait avoir... un ou plusieurs individus envoyés par le cartel pouvaient posséder des facultés particulières. Des shinobis, peut-être ?

Evoluant à pas de loup dans la ville portuaire dont l'activité déclinait, Maya avait emporté avec elle deux de ses subalternes les plus qualifiés, et se hâta de rejoindre le hangar qu'on lui avait décrit. Sabre au poing, son couve-chef toujours fixé sur sa tête, elle entama son approche une fois le grand bâtiment en vue. Peu de chance de trouver qui que ce soit d'important ici : les lieux étaient en effet plus propices aux basses besognes et aux « transits » de seconde zone, un endroit que les ayants droit se gardaient bien de fréquenter pour ne pas pouvoir être reliés directement aux activités qui s'y déroulaient. Aussi, la Capitaine appliquerait ici la même règle qu'un peu plus tôt dans la soirée à bord de son bateau : un seul survivant.

Elle se faufila d'abord sur le côté d'un accès défendu par deux larbins : le premier eut la gorge tranchée avant de pouvoir esquisser un geste, et le second eut la main tranchée avant de pouvoir complètement dégainer son katana. Dans son dos, l'un des subalternes de Maya étouffa son cri et l'égorgea promptement. Le trio s'engouffra alors à l'intérieur, aux aguets et prêts à parer au plus inattendu. De grands couloirs, des tas de marchandises entassées dont certaines sur de grandes étagères : le labyrinthe jouait clairement en la faveur des infiltrés, qui supprimèrent plusieurs larbins sur leur route en observant attentivement les alentours à la recherche de Idetaka et Hideyaki. Leurs recherches restèrent sans résultat pendant ce qui leur sembla une éternité, à éliminer silencieusement tous les sous-fifres du cartel qui avait voulu les doubler. Des victimes collatérales et nécessaires, qui ne réjouissaient pas la Capitaine pour autant. Heureusement, au détour d'un couloir, une lumière plus vive que les autres et une fin de conversation animée attirèrent leur attention dans une salle adjacente : y jetant un coup d'oeil furtif, Maya vit dos à dos et saucissonnés avec de l'épaisse corde ses deux lieutenants, inconscients au sol. Mais pas que.

Nonchalants, deux hommes déambulaient d'un bout à l'autre de la salle, l'un fumant une cigarette avec un calme relatif tandis que l'autre, en débardeur, semblait bien plus excité et ne tenait pas en place. Mais alors que Maya, après un bref regard de synchronisation avec des deux subalternes, s'apprêtait à passer à l'action, elle fut stoppée nette.

« Ah, on fini par avoir de la visite finalement. On se disait bien aussi, que ces abrutis étaient bien trop longs à revenir... Restez pas là, montrez-vous donc. »

Le plus calme, à la cigarette, venait de leur parler directement. Un senseur, se dit immédiatement Maya, coutumière des talents des divisions shinobis. Voilà qui supprimait toute chance de se débarrasser du duo rapidement et silencieusement. C'était peut-être sur eux, que Idetaka et Hideyaki étaient tombés, et contre lesquels ils avaient du s'incliner... Entrant dans la lumière en décochant un regard froid aux deux hommes qui tenaient la vie de ses lieutenants entre leurs mains, et en dépit de la situation défavorable sur le papier, Maya ne se débina pas d'un iota.

« Ça peut se passer de plusieurs façons. Je veux récupérer mes hommes. Vous pouvez me laisser faire et vivre, ou tenter de m'arrêter et mourir. L'un de vous, en fait, dit-elle subitement en brandissant la pointe de son sabre vers l'un puis vers l'autre, survivra au moins le temps de me rencarder sur deux ou trois choses. Mais pas beaucoup plus longtemps, à vrai dire. »

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