Wataru s'engouffra dans la mine. Dès qu'il eut passé l'espère de portail de pierre qui se prolongeait dans le flanc de la montagne, il sentit une bouffée de chaleur le percuter de plein fouet. Il s'attendait à trouver un endroit humide et austère. Au lieu de ça, il fut plongé dans une cave rougeoyante, regorgeant de vie et de la force de travail de centaines de mineurs rassemblés. Le vacarme des pioches sur la roche, quoique encore lointain, se fit plus fort, plus assourdissant. Le crépitement de hauts-fourneaux retentissait dans l'immense hall de pierre qui servait d'entrée à la mine. Des bruits de bottes martelant le sol, le choc de métaux frappant d'autres métaux, le sourd grondement du coeur de la montagne, comme un gémissement ... Dans ce vacarme, pas une seule voix humaine ne se faisait entendre. Tous les mineurs étaient muets. Ils savaient la tâche qu'ils avaient à accomplir, et s'y dévouaient jusqu'à ce qu'ils l'aient accomplie, voilà tout. Leur vie à la mine se résumait à ce simple but.
Wataru acquiesça discrètement à l'adresse de son partenaire quand il proposa de partir pour une première exploration. Il n'avait prêté que peu d'attention à la tenue pour le moins singulière de Bakushô Yuji, de même qu'au masque qui lui recouvrait le visage. Dans sa carrière de Shinobi, il avait eu l'occasion de côtoyer toutes sortes de phénomènes, des plus banals jusqu'aux plus exubérants. Naturellement, comme par un réflexe, il avait appris à se défaire des apparences et à ne pas juger ses pairs sur leur tenue. Simplement, il y puisait quelques informations sur ce qu'ils voulaient bien laisser voir d'eux-mêmes. En l'occurrence, pas grand chose. Calfeutré derrière son masque, Bakushô Yuji semblait vouloir s'isoler le plus possible du reste du monde. Loin de se prêter aux présupposés facilement, Wataru avait cependant entendu dire que les Bakushô étaient des artistes, pour certains, avec une vision particulière de la vie. Peut être avait-il affaire à l'un de ceux-là ?
Peu importait, finalement. L'objectif de la mission n'était pas là, et ils n'avanceraient pas plus vite en faisant l'un l'autre des suppositions sur leur camarade. Ils pénétrèrent dans un premier boyaux de roche. Au bout de celui-ci, très court, ils débouchèrent sur une vaste salle taillée dans le roc où étaient alignés les fameux hauts-fourneaux dont Wataru avait pu entendre le rugissement sourd, un instant auparavant. Il y avait cinq. Cinq titanesques foyers d'acier, rougeoyant, grondant, vrombissant d'énergie, tremblant avec fébrilité sous la chaleur intense qui habitait leurs entrailles. De temps à autres, quelques travailleurs y jetaient des blocs entiers de minerais, répandant dans toute la salle -pourtant immense- une fournaise d'enfer. Wataru devait plisser les yeux pour soutenir la chaleur qui lui attaquait le visage. Il lui semblait inhumain de travailler dans de telles conditions, et les hommes qui s'activaient ici devaient bien être des monstres pour parvenir à les supporter.
Un de ces démons-là s'approcha des deux Shinobis, et d'une voix d'orgue recouvrit le vacarme des fourneaux:
"Qu'est-ce que vous faites là ? Qui vous a laissé entrer ?"
Wataru, malgré le fait qu'il sentit sa gorge particulièrement sèche, répondit par-dessus le tumulte des machines:
"Nous sommes des Shinobis de Kumo, nous venons pour une inspection ! Est-ce que ... Est-ce qu'on pourrait parler dans un endroit plus calme ?"
L'homme se renfrogna, un peu, avant de faire signe aux deux visiteurs de le suivre. Il les mena dans un petit couloir qui déboucha sur une petite pièce, intimiste, avec une table et des chaises sur lesquelles tous prirent place.
"Je suis Seki Wataru, et voici Bakushô Yuji. Nous sommes missionnés par Kumo officiellement dans le cadre de ..."
Wataru hésita un instant. Devait-il dire la vérité à cet homme ? Ou devait-il prétexter quelque autre motif pour leur visite ? Après tout, de ce qu'ils en savaient, il pouvait tout aussi bien être lui-même un des bandits qui avaient été repérés en train de débarquer illégalement. Mieux valait prendre le plus de précautions possible.
"Dans le cadre d'une inspection de la mine. Nous voulons vérifier que tout se passe pour le mieux dans chaque recoin de la mine.
-Vraiment ? Je peux voir votre ordre de mission, dans ce cas ?"
Wataru haussa un sourcil. Il ne s'attendait pas à cette complication. Il fallait jouer la carte du bluff, tant pis.
"Vous remettez en question la parole d'un soldat de Kumo ?
-Pourquoi pas ?
-Vous remettez en question l'autorité du Raïkage qui nous a missionnés pour venir vous inspecter ?
-Eh là, calmons-nous ...
-Vous remettez en question l'autorité du Daimyô de Kaminari no Kuni qui ne veut que le bien de ses sujets ?
-Mais enfin ...
-Oseriez-vous aller à l'encontre de toutes ces figures ? Oseriez-vous le faire ?
-Non !"
Wataru se radoucit d'un coup, et sourit légèrement.
"Dans ce cas tout va bien, n'est-ce pas ?"
Le mineur semblait un peu sous le choc, et déconcerté par cet échange.
"Oui, oui. Tout va bien.
-Parfait. Nous aurions besoin d'un plan de la mine et de deux lanternes. Nous ne vous dérangerons pas plus."
Le mineur sortit d'un placard le matériel demandé par Wataru. Il s'équipa lui-même d'une lanterne, et laissa Yuji prendre le reste de l'arsenal.
"Je vous remercie, monsieur."
Et ils prirent la direction de la mine et de ses tortueux boyaux.