Eteignant une cigarette de plus, le jeune médecin rentra dans l’hôpital pour s’installer à son bureau une fois de plus. Trop. Il fumait trop – c’était absolument certain. S’étirant sans aucun charme, il concentra son chakra au niveau des yeux pour éviter qu’ils ne se fatiguent trop et se replongea dans ses rapports. Conseiller de Kumo. Pourquoi s’était-il même laissé convaincre de participer aux élections ? Il soupira lourdement. Ce n’était pas… Il reposa les papiers sur la table et passa ses doigts sur ses tempes, les massant délicatement. Le premier conseil aurait lieu dans quelques jours et il ignorait beaucoup de ce qui lui serait demandé sur place. Perdu parmi les ministres et des discussions qui dépasseraient probablement ses compétences : c’est comme ça que le brun se voyait. Sur son visage, les cernes se creusaient plus encore, lui donnant l’aspect d’un homme bien plus âge qu’il ne l’était actuellement. Dire que cela ne faisait même pas un an que toutes ces responsabilités lui avaient été confiées, et voilà qu’il s’était laissé embarquer dans d’autres…

Fichue Hak. C’était son idée après tout. Même si Shigeru ignorait où elle voulait en venir – avait-elle seulement vraiment une idée en tête lorsqu’elle faisait quelque chose ? – il avait laissé son amie de longue date le bercer avec des mots doux. Lui expliquer à quel point il était important que quelqu’un d’indépendant de la politique du Régent puisse siéger afin de porter la voix des habitants et de leur besoin. Qui de mieux pour ça qu’un médecin connu de la majeure partie du village ? C’était ses paroles. Un doux miel en apparence qui, au fur et à mesure qu’il cherchait à le comprendre, s’avérait être périmé. Opposant son dos à celui de son siège, il étendit les jambes et fit craquer certaines de ses articulations, soupirant lourdement une fois de plus. S’il ne voulait pas se montrer comme un échec total, il était tout dans son intérêt de reprendre les dernières informations, les analyser, réfléchir à ce qui pourrait être fait avec et trouver des failles à combler. C’était son rôle de membre du département Recherche et Enseignement après tout, une fois que celui de former les futurs médecins du village à l’hôpital était validé.

Sortant une feuille de papier d’un de ses tiroirs, il commença à griffonner quelques mots dessus, sans réellement y croire. Sa structure avait été arrangeante, lui permettant de récupérer un peu de temps libre – une denrée particulièrement rare dernièrement – afin qu’il puisse travailler dans le cadre du conseil. Il ne pouvait que leur en être gré, même s’il lui paraissait beaucoup plus simple de pratiquer des autopsies ou de soigner des gens. Au moins, c’était une science presque exacte concrètement à la politique. Brusquement, il releva la tête entendant quelqu’un frapper à sa porte. C’était… Pour le moins inattendu. Sans mot dire, il alla ouvrir la porte, adressant un maigre sourire à l’homme qui se trouvait là. Quel âge avait-il ? Certainement plus que lui – il devait être proche de la trentaine. Les cheveux d’un noir ébène et le regard sévère de ce dernier lui donnait une certaine aura, ferme mais extrêmement rassurante. Que lui voulait-il ?

« Bonjour… Puis-je vous aider ? »

Shigeru resta devant la porte, accueillant son invité à travers le seuil de celle-ci. C’était peut-être quelque peu impoli, mais il était tellement improbable que quelqu’un d’extérieur à l’hôpital vienne le voir de toute façon… L’homme s’était certainement perdu.

Calmement, tu avances – tes pas résonnent fermement sur le sol de l’hôpital, mais le bruit ne parviens pas à te distraire. Tu sais exactement pourquoi tu es là, et tu sais que tu vas réussir. Tu n’as jamais accepté la défaite, et tu ne comptes pas commencer aujourd’hui. Oui, tu sais mieux que quiconque que tu lui dois quelque chose – cet objectif qui te motives inexorablement à avancer, sans jamais regarder en arrière. Dans tes gants blancs, tu sens les gueules présentent sur tes mains s’agiter, preuve de ton impatience. Pourtant, elles restent bien sage et gardent leur langues pendues bien cachées : c’est ta création après tout, des gants fait d’une matière telle qu’elle les dégoûte. Elles préfèrent rester calmes plutôt que d’avoir à lécher ce tissu, et tu ne peux que t’en satisfaire. Tu es un politicien. Un diplomate. Un économe. Tu as toujours refusé la vulgarité de ton clan, sans pour autant être capable de cracher dessus. Il n’y a aucun charme à cela, mais tu l’assumes, tu vis avec. Tu es un adulte, après tout. Enko Shigeru – souriant, la femme à l’accueil t’indique qu’il est dans son bureau. Elle t’explique même comment y arriver sans que tu ne demandes rien. Tant mieux – tu économises ta force.

Une fois de plus, tes pieds claquent le sol et tu prends la direction du bureau du médecin. Son élection au conseil décisionnaire du village ne t’a pas échappée. Sa réputation non plus. Des six, tu sais qu’à part ton Ministre, il est celui avec qui tu peux avoir le meilleur contact. Débarquer à l’improviste ainsi n’est pas digne de toi, mais tu n’en as rien à faire. C’est un impératif pour toi de tirer tes fils. De placer tes pions. Tu as des projets. De grands projets – tu es assez intelligent pour savoir que tu as besoin d’alliés de taille pour les réussir. Ton visage parfait, ta tenue tirée à quatre épingles, le sérieux de ton expérience : c’est insuffisant si tu es seul. Calmement, tu inspires et, d’un geste délicat de la main, tu frappes trois fois à la porte du bureau. Patience. Un instant. Puis un autre. Encore un autre. Tu te demandes si tes informations sont correctes, mais alors que tu hésites à repartir, il ouvre enfin la porte. Des yeux cernés. Une allure triste malgré un sourire qui n’a aucun sens. Aucun doute, c’est bien ta cible. Tu souris à sa question.

« Bonjour Enko-san. Je m’appelle Bakushô Daï. C’est un plaisir de vous rencontrer enfin après tous ces éloges que j’ai entendu à votre égard ! M’aider ? Non, ce n’est pas la peine. Je désire seulement m’entretenir avec vous au sujet du village… »

Un petit sourire de plus, et tu espères l’avoir dans le creux de ta main. Ta voix est enjouée mais sereine, calme et particulièrement marquante – un léger ton grave orné d’intonations ponctuelles et précises. Des années. Tu as passé des années à travailler ces aspects de ta personne pour te détacher de ce qu’est ton clan. Tu n’es pas un fauve. Tu n’es pas un disciple de la violence et de l’explosion. Non, toi, tu as choisi de devenir le maître corbeau et le corbeau en un. Tes paroles sont belles, toujours teintées de ce qu’il faut pour soumettre les autres à ta volonté. Tu tournes, tu avances, tu recules – ta définition de l’honneur n’est pas celle des autres. Eux, ils pensent que l’honneur c’est de mourir au combat sans reculer. Toi, tu sais que l’honneur se mesure à plus qu’une mort stupide. Tu sais que ce village n’a pas besoin de morts parce qu’il en déjà eu assez. Ton regard soutien celui du médecin, attendant calmement sa réponse. De toute façon, tu sais qu’il va accepter ton entrée – c’est plus loin que commenceront les marches vers ton succès.

Shigeru cligna des yeux à trois reprises, étonné d’entendre qui que ce soit parler d’éloges faites à son égard. Etait-ce un autre coup de Hak que de proliférer de telles choses ? Ça lui ressemblerait bien, mais d’après ce qu’elle lui avait dit la dernière fois, elle était occupée dernièrement. Parler du village. S’il s’était douté que devenir membre du conseil attirerait toutes sortes de discussions, jamais il n’avait estimé que ce soit si rapide, et pourtant… L’homme en face de lui, dans son manteau bleu, devait certainement avoir une idée derrière la tête pour venir le rencontrer si vite. Si cela ne dépendait que du médecin, il aurait gentiment demandé au Bakushô de repasser. Après tout, il ne considérait avoir aucune place dans cet organe – il ferait mieux de consacrer son temps à préparer la première réunion plutôt que parler. D’un autre côté… Le brun savait qu’il n’avait absolument aucune envie de se plonger dans ses papiers à l’heure actuelle et si cet homme avait pris la peine de venir jusqu’ici pour lui parler… C’était qu’il avait une raison bien précise, non ? Soupirant discrètement, le Chûnin invita d’un geste de la tête l’inconnu à entrer dans son bureau, refermant la porte derrière. Rapidement, il s’installa sur son siège et invita le visiteur à en faire de même – les deux se faisaient face à face désormais, séparés par le bureau.

« Enchanté, Bakushô-san. Il est… rare que je reçoive de la visite ici, c’est pourquoi je vous ai laissé entrer mais… Êtes-vous sûr de vous adresser à la bonne personne ? Je ne suis qu’un médecin, pas un homme de politique – malgré ma place dans le conseil, je doute sincèrement être la personne avec qui il est sage de parler du village. J’imagine que c’est vis-à-vis de ma nomination au conseil que vous venez me voir. »

Le médecin baissa les yeux, soupirant légèrement. Il n’était absolument pas en confiance pour parler de ce genre de choses. Clignant trois fois des yeux, il recentra son regard sur celui de son invité, choisissant de soutenir les yeux noirs de ce dernier. Il était incapable de dire comment, mais il ressentait clairement la petite étincelle cachée dans l’obscurité des deux orbes. Oui, il pouvait avoir tous les soupçons qu’il voulait, c’était de plus en plus une certitude. Malgré les défenses qu’il essayait de mettre en place, malgré la distance qu’il essayait de creuser avec son simple discours… Bakushô Daï était venu le voir lui. Ou alors… Il se faisait des illusions tout seul ? Le surplus de travail devait certainement retentir sur sa personne, à force. Calmement, il prit les feuilles posées sur son bureau et les rassembla en un petit tas aux limites parfaites – plus pour gagner du temps qu’autre chose. En les reposant, il croisa une fois de plus le regard de l’adulte. Il ne pouvait pas rester silencieux. Shigeru soupira.

« Ecoutez… Je ne peux pas vous garantir que je sois en mesure de vous répondre. Néanmoins… Je peux toujours vous écouter et voir si je suis en mesure de soutenir la conversation. Qu’en dites-vous ? »

Sur ces quelques mots, le médecin croisa les bras et s’appuya contre le dossier de son siège, laissant toute la place qu’il désirait au Bakushô de s’exprimer. De toute façon… Il n’avait rien à perdre à faire les choses ainsi – même mieux, ce serait un entraînement correct pour le conseil si jamais on demandait de prendre la parole. Être dans la réaction plutôt que dans l’action. Avec un peu de chance, personne ne remarquerait rien, non ? Intérieurement, il soupira – la fatigue lui faisait croire de bien ridicules choses.

Tu empêches le peu d’arrogance en toi de reprendre le dessus et de sourire de façon insolente alors qu’il te laisse rentrer. Calmement, tu t’installes en face de lui, prêtant attention à ce qu’aucun faux-pli ne couvre tes vêtements. Ils sont lisses – tout autant que toi lorsque tu es dans tes intrigues politiques. Soigneusement, tu observes le comportement du petit médecin, soutenant son regard avec sérénité lorsqu’il le croise. Tu ressens sa gêne. Tu ressens son inconfort. C’est comme un millier d’insectes qui iraient courir le long de son corps. Tu fais semblant de l’ignorer, mais tu en es plus que conscient – et tant mieux, car tu sais que cela joue à ton avantage. Caresser dans le bon sens n’est que plus simple chez les personnes présentant qui n’ont pas la volonté mentale de te résister. Mais oui. Tu es content. Tu jubiles même. Les rumeurs que tu avais entendues et les soupçons que tu avais formulés – ils se confirment devant toi un à un. Il est le petit agneau perdu que tu le pensais être. La petite créature fragile qu’il te convient de guider à ta guise. Plus que le loup, tu es le berger – et tu ne sais que trop bien que ça te donne également le privilège de sacrifier ce qu’il faut pour la réussite de ton troupeau.

Les paroles et les doutes du médecin sont de la musique pour tes oreilles. Chacun de ses gestes est le stéréotype de l’évitement, de la défense, de la protection, du doute. Tu pourrais rédiger une putain de liste et la présenter devant ses yeux, l’obligeant à assumer le nombre de défauts qu’il a exprimé devant toi. Cependant, tu ne dis mots. Chacun de ces défauts est une partie de peau exposée en plus qu’il t’est permis de caresser. C’est ton droit. Oui. Alors qu’il s’oppose à son siège, creusant la distance entre vous – tu l’en empêches. Délicatement, tu t’avances sur ton siège, jusqu’à ce que tes avants bras reposent sur son bureau. Les deux paumes tournées vers lui, tu lui fais croire que tu n’as rien à cacher.

« C’est une offre qui me sied à merveille, Enko-san. Avant toute chose, je tiens à vous faire part de mon profond respect. Vous êtes un médecin, vous l’avez dit vous-même. Pourtant, vous avez eu le courage de vous présenter au conseil décisionnaire. Je sais que c’est bien simple à dire, mais vous ne devriez pas autant douter de vous. Si le village vous a choisi, c’est bien parce que votre réputation de médecin engagé pour la cause des habitants est connue. Vous avez beau croire qu’il ne s’agit là que d’un mouvement de masse, je suis certain qu’il y a un bien fondé à ceci. »

Tu marques une petite pause, juste assez pour que tes paroles s’encrent dans sa mémoire. Lui fais-tu vraiment confiance ? Non, mais tu es l’une des voix qui ont contribuées à l’élire. C’était l’une des marches à franchir pour arriver au pouvoir que de parier sur les bons chevaux – c’est maintenant que tu auras la confirmation de tes jeux.

« Je suis Chûnin, tout comme vous. Cependant, je travaille dans le département de Ministre Monjara-san – bien qu’il ignore tout de cette entrevue. Nous avons – je pense – un intérêt commun tous les deux. Vos opinions sur certains sujets n’ont jamais été très cachées – notamment sur l’importance des blessures que Kumo a subit. Je suis un grand lecteur de vos rapports d’activités et demandes de subvention pour l’hôpital, et j’ai pris la peine de voir en vous l’important pacifiste qui donne tout pour le village. Tout comme moi. »

Satisfait de tes paroles, tu recules légèrement sur ton siège. L’une de tes jambes passe gracieusement sur l’autre, preuve posturale de ton bonheur. Le poisson mordra-t-il à l’hameçon ? Tes yeux d’un noir obscur le fixent, attendant sa réponse.

Un léger rose monta aux joues du médecin devant la vague de flatterie, mais il ne persista pas longtemps. Ce n’était pas dans son habitude d’être félicité, et encore mois dans de telles mesures. Le Bakushô avait vraiment une image pervertie de lui – pourtant il ne pouvait avoir tort sur toute la ligne non ? Le laissant continuer ses explications, Shigeru soupira calmement en se détendant légèrement. Il y avait quelque chose d’ironiquement rassurant dans le fait d’être vénéré de la sorte – une petite sensation de confiance en soi, en ses capacités. Perdu dans sa dépression et son pessimisme, il n’avait jamais été vraiment capable d’évaluer son travail, considérant toujours ce dernier comme quelque chose qu’il était nécessaire d’améliorer. Ses rapports ? C’était un plaisir, quelque part, de savoir qu’ils étaient lus. Etait-il vraiment l’allié qu’il prétendait être ? Réajustant sa position, le brun inspira avant de répondre, un léger sourire aux lèvres.

« C’est… Beaucoup de crédit que vous accordez à mon courage, vous savez. J’ignore les raisons pour lesquelles les gens ont voulu me choisir – je ne suis pas dans leurs esprits pour pouvoir décortiquer ces informations. Ce que je sais, néanmoins, c’est le pourquoi de ma participation. Une… Amie m’a convaincue. Elle est tombée dessus par hasard alors que je venais de la rédiger, persuadé qu’il ne servait à rien de la poser et… Disons qu’elle a su trouvé les bons mots. »

Hak. Etait-ce une amie ? Oui, certainement. Malgré la relation… Compliquée qu’il entretenait avec la jeune fille, il ne pouvait nier qu’il y avait un lien entre eux – après tout, elle était certainement la personne le retrouvant le plus souvent à l’hôpital pour être soignée, ayant fait une sorte de fixation sur ses capacités, ou plutôt sur son silence et son absence de jugement devant les blessures de plus en plus originales qu’elle amenait avec elle. A force de la connaître, le Médecin avait réalisé une chose simple : quand il s’agissait de la Senritsu, malgré tout ce qu’elle laissait paraître – le hasard n’existait pas. Le connaissait-elle suffisamment pour savoir qu’il aurait de toute façon rédigé une candidature pour le conseil ? Il n’arrivait pas à expliquer, de façon logique, le pourquoi du comment de la venue de la bleutée à ce moment précis – pourtant, l’explication devait bien être quelque part.

« Vous dites être un pacifiste, tout comme moi… Cela ne fait que confirmer mon hypothèse – vous êtes donc venu dans un but bien précis. Serait-il peut-être possible d’aller droit au but ? Souhaitez-vous faire de moi votre allié, abuser de ma position au conseil ou seulement vous assurer que je ne sois pas votre ennemi ? Vous venez d’un clan que la réputation belliqueuse précède plus qu’autre chose, mais j’ai toujours fait fi des préjugés. Alors, Bakushô-san : que peut vous offrir un Médecin si dévouez que vous le dites ? »

Il n’y avait, dans ses paroles, pas la moindre once de reproche. Même en cherchant, il était difficile de trouver la moindre critique : tout au plus, c’est une certaine distance prise avec son interlocuteur qui pouvait être devinée dans les paroles de Shigeru. Une distance qu’il espérait, secrètement, que l’autre homme serait capable de réduire. Ce n’était pas un politicien – son regard était centré sur la santé et les soins. Si les discussions allaient de bon train… Il lui serait peut-être possible d’obtenir une aide extérieure qui permette aux conseils de profiter pleinement aux habitants. Alors que l’invité s’apprêtait à répondre, il l’arrêta d’un discret geste de la main.

« Non. Avant de répondre à ces questions… Pourquoi ne me parleriez-vous pas de votre histoire ? Vous connaissez une partie de la mienne, et je pense que nous pourrions commencer sur des bases plus saines si l’on démarre à égalité. »

Une amie. Tu n’entends que ce mot et te demandes si, malgré les cachotteries et simplification de ton interlocuteur, cette femme signifie plus pour lui. C’est une idée que tu t’es faite depuis longtemps. Une idée en laquelle tu as toujours cru depuis que tu l’as rencontrée – malgré toutes les différences qui vous opposaient. Une idée que tu t’obliges de conserver même maintenant qu’elle n’est plus de ce monde. Derrière chaque grand homme, il y a une grande femme. Que ce soit l’allégorie Justice ou Paix, ou bien même une simple humaine qui accepte de traverser ce monde à ses côtés. Tu sais de quoi il résulte. Après tout… Y a-t-il une chose dans ce monde qu’elle n’était pas pour toi ? La suite des paroles du Shigeru te fait sourire doucement. Tu savais pertinemment que tu n’avais pas affaire à un simple idiot, et malgré toute la beauté de tes paroles – berner un homme de sciences avec son égo n’était pas une chose possible. Soit, cela te rassure même. Tu cherches à te montrer bien entouré, et cela exclu d’office tous les idiots qui pourraient se rapprocher toi – quel serais alors ton intérêt à vouloir les relier à ta cause ? Les mains cachées soigneusement par tes gants s’agitent légèrement alors que l’idée te traverse la tête : elles savent désormais qu’elles seront utilisées. Ne changeant rien à ta posture, tu plies un bras et oriente ta main vers le ciel, comme si tu t’attendais à ce qu’une grâce divine te trouve. Il n’y a rien de divin à ton histoire, et tu le sais.

« Je reconnais bien là la sagesse d’un Médecin – aussi je répondrais à votre requête. Je suis né dans les terres de Kaminari, parmi les membres de mon clan. On a beau dire ce que l’on veut de ce pouvoir… »

D’un geste théâtral, tu enlèves l’un de tes gants, laissant la sauvage bouche présente ici claquer des dents avant de tirer la langue. Rien qu’à te regarder, tu te donnes la nausée – c’est une malédiction que tu as toujours feins de combattre. Pourtant, lorsqu’il s’agit d’utilité, tu sais que tu ne peux compter sur mieux. Un hypocrite : voilà ce que tu es. Comme tout politicien, n’est-ce pas ? Tu contemples ta main quelques instants, puis serre le poing pour la calmer. Qu’elle obéisse – elle gâche déjà assez ta vie par sa simple présence.

« Je considère qu’il s’agit d’un mésusage. Malgré mon jeune âge à l’époque, j’ai été l’une de ces voix qui ont cherché à pousser les Explosifs à cesser la guerre et rejoindre Kumo. En guise d’engagement, j’ai sué corps et âme pour la construction de ce village, portant rondins qui sont nos fondations jusqu’aux tuiles qui sont nos toits à la force de mes muscles. J’ai cru – et je crois toujours – en la suprématie d’une organisation propre et régie par des règles précises. Quitte à ce que cette suprématie soit atteinte par la destruction de nos ennemis. C’est vers cette époque que je l’ai rencontrée – une Kadoria extrêmement talentueuse qui a été mon capitaine d’équipe. »

Tu t’arrêtes un instant, conscient de la douleur qu’évoque ne serait-ce que la mention de son nom de famille. Idéaliste idiot, dans quelles folies choisis-tu d’aller aujourd’hui ? Tu l’ignores toi-même, et c’est cette ignorance qui un jour causera ta perte.

« En dépit des rapides frictions entre nos deux clans, nous nous entendions à merveille. Elle m’a appris la paix, la réflexion, la diplomatie et l’amour. Je la pensais immortelle, elle a fait de moi son époux en échange. Seulement… Elle est décédée lors de notre tentative de conquérir Mizu no Kuni. Je pense que c’est réellement sa mort qui m’a fait réaliser à quel point la paix était une bonne solution. Cela m’a permis de voir tout le sens caché de ses tendres paroles d’il y a quatorze ans déjà… »

Shigeru regarda la main de l’invité sans sourciller – ce n’était pas la première fois qu’il voyait un Bakushô depuis qu’il était à l’hôpital et, somme toute, c’était plutôt un phénomène qu’il trouvait passionnant. Eux ainsi que les Monjara, deux clans à l’anatomie tellement distordue – même dans le monde Ninja, de telles modifications du corps étaient tout du moins rares, donc en regroupé deux au sein du même village… La façon qu’avait l’ainé de parler de son pouvoir, pourtant, n’était pas celle qu’il avait l’habitude d’entendre. Une sorte de tristesse, de chagrin même, était aisément perceptible. Comme une note amère trop exagérée par un cuisinier dans un plat. Ce n’était que… Compréhensible pour le jeune Médecin. Il n’était pas dans la politique, mais il s’imaginait aisément la difficulté avec laquelle devait vivre son visiteur – que ce soit caché ces mains sous des gants ou devoir les expliquer à toutes les personnes qu’il croisait…

Calmement, il continua son discours. Le jeune brun ne pouvait nier qu’il y avait de l’expérience dans les mots choisis. Un sens de la logique presque cruel – suffisant à le faire frissonner lorsqu’il entendit la phrase parlant d’éliminer les ennemis. Pourtant, malgré toute cette précision, il n’y avait rien qui pouvait dire que c’était de la langue de bois telle qu’elle était connue. La mélancolie profonde marquant les premiers mots déjà concernant la Kadoria frappa le médecin, nouant efficacement sa gorge. Il savait vers où allait cette histoire, et il n’avait pas spécialement envie d’en connaître le déroulement – pourtant, il n’osa pas s’interposer. En échange, il cligna calmement des yeux devant les réalisations du Bakushô. Il avait l’air tellement sincère en expliquant la douleur qui habitait son cœur… Shigeru soupira pour ne pas se laisser entraîner par le charme et la délicatesse de la peine présente devant lui, sacrifiant une fois n’est pas coutume le médecin au profit du conseiller.

« Je… Désolé de vous avoir fait creuser ce genre de souvenirs. Vous n’étiez pas obligé d’aller jusque-là… Néanmoins je comprends votre point de vue. Depuis que nous organisons guerres et luttes, c’est la déchéance qui s’abat sur notre village. Je ne peux donner d’estimation précise, mais cela fait un moment que la courbe des naissances du village est bien en dessous de celle des victimes de nos décisions politiques. Bien que je n’ai jamais… Eté affecté aussi personnellement que vous. »

Il y avait, certes, ce ninja qui s’était occupé de lui à l’époque – cependant, cela remontait à tellement longtemps qu’il n’osait plus y penser. Leurs liens, bien que proches et presque familiaux, n’arrivaient pas – selon les connaissances du médecin – au niveau de ceux d’un mari et d’une femme. Il y avait quelque chose de particulier, d’intime, entre deux personnes reliées par les liens du mariage. C’était un choix qu’elles faisaient de partager leurs vies, ne serait-ce que pendant un moment. La mort de l’une devait probablement se résumer à une perte d’une partie de soi pour l’autre, non ? Il y avait peut-être des livres qui lui permettraient de comprendre, au-delà des larmes des patients auxquels il annonçait les mauvaises nouvelles. S’approchant de son bureau, le médecin y déposa ses coudes et entremêla ses doigts, reposant sa tête sur la tour ainsi construite. Il n’osait pas dire plus, laissant le temps et l’espace nécessaire au Bakushô afin qu’il puisse reprendre ses esprits et répondre aux questions restantes. Finalement, cette entrevue n’était pas une perte de temps – assez pour réjouir l’Iryo-nin.

Tu te permets un petit sourire plein de chagrin devant la réponse du médecin et la réaction de son corps. Comme une abeille attirée par le sucre, il tombe progressivement dans tes petits jeux. Eprouves-tu de la tristesse à sa mort ? Oui. Cela ne fait aucun doute. Pourtant… Quel idiot il faut être croire que le deuil plonge quelqu’un dans une recherche éperdue de la paix par tous les moyens. Tu es un ninja. Tu es un Bakushô. Pense tout ce que tu veux, tu restes une machine à tuer. Un art que tu as su pousser jusqu’à son paroxysme – claquer des doigts quatre fois et huit mudras, c’est tout ce qu’il te faut pour détruire un petit village. Tu n’aimes pas la violence quand tu peux l’éviter, mais ta conviction ancienne, elle, est restée ancrée dans ton corps – bien que tu la couvres d’un tissu soyeux de beautés éphémères qui ne plaisent qu’à tes entendeurs. C’est ce que tu recherches, non ? La suprématie de ton village. Son bien par le biais du sommet de Montagne. Si tu n’as que des égaux ou des inférieurs, le risque que tu tombes de ton siège diminue drastiquement – et que cela vaille pour Kumo, dans tes idéaux, c’est aussi toi que tu veux assoir. Le Roi de la Montagne. N’est-ce pas là un beau nom que tu aimerais avoir ? Être celui qui épargne les faibles. Un Maître dans un pays d’esclaves. Secouant légèrement la tête, tu fais mine de te reprendre.

« Quant à pourquoi je suis venu vous voir… Vous avez raison. J’aimerai que nous devenions alliés. Vous ne faites que confirmer tout ce que j’ai entendu sur vous. Un Médecin blessé à chaque mort Kumojin. Un soigneur voulant soigner plus que le corps de ses concitoyens. Quelque de dévoué pour sa propre paix, quitte à s’opposer à un gouvernement qui ne recherche que la guerre. Oui, les Bakushô sont des monstres belliqueux et vous avancez ces préjugés de la plus juste des façons. Maintenant, respirez un instant et dites-moi, qui donc est au pouvoir de notre village ? »

Tu te repositionnes, balayant ces mixtes émotions loin de toi. Utiliser ainsi Aomine… Si tu ne convoitais pas, parmi tant de choses, le petit siège sur lequel il siège, tu… Non. Ne te mens pas à toi-même. Eprouver des remords n’est pas donné aux gens de ton espèce. Tu es un être vil. Un mulet avançant vers son objectif de façon déterminée, quitte à écraser les obstacles sur son chemin. Tu n’as aucun intérêt à pleurer les victimes – sinon pour te faire aimer de leurs familles. Tu crois en tes capacités. Tu crois dans le bien fondé de tes intrigues. Il faut que tu y croies. Tu penses être le seul à pouvoir réussir, petit orgueilleux.

« Je doute que l’on ne puisse vraiment agir vers la paix à Kumo sous ces conditions, rien que son discours était rempli d’une hargne profonde. Néanmoins – et c’est là mon pragmatisme qui parle – nous pouvons nous assurer d’avoir le moins de pertes possibles. Renforcer nos frontières, établir la force de notre village – du pays même s’il le faut. Nous devons nous montrer forts et résistants. Je n’ai pas participé aux élections du conseil décisionnaire délibérément. Un politicien de plus parlant au nom des citoyens, ce n’est pas ce dont a besoin le village. Il nous faut des hommes comme vous, n’ayant pas la gueule de bois imposée par notre travail. J’ignore quelles sont vos idées, quels sont vos projets – mais je vais jouer jeu franc avec vous. Je pense que nous sous-exploitons les capacités du village, et ce sur de nombreux points. J’aurais besoin des ressources intellectuelles et factuelles de votre département pour établir un compte-rendu à proposer au sein du département. »

Des idées. Des créations. Des connaissances. Tu prendrais tout ce qu’on t’offre, même de la vaseline en boite. La seule chose qui t’intéresse, c’est d’arriver à ton but – pourtant ta voix tremble légèrement, montrant faussement à quel point tu tiens à ce projet. Combien de fois devras-tu encore mentir ?

Shigeru expira l’air par son nez légèrement trop fort à entendre l’autre homme confirmer son hypothèse. Les paroles de ce dernier… Savaient le toucher en plein milieu. Il n’y avait rien d’agréable à en être conscient, mais ce n’était pas des choses que le Médecin pouvait ignorer. Combien même il l’aurait certainement voulu. Critiquer le gouvernement – ses rapports étaient-ils si virulents que ça ? Cela lui semblait plutôt être une interprétation très libre de ses propos, bien qu’elle soit loin d’être erronée. Quelque part dans son esprit, il nota qu’il serait sage de tempérer plus ses propos dans les prochains, afin que personne d’autre ne puisse faire ce genre de rapprochement. La justesse de l’analyse du politicien – et il fallait admettre au brun que son invité avait un talent certain dans ce domaine – était particulièrement frappante et pessimiste. C’était comme s’il donnait le village déjà condamné, sur la seule appartenance au clan Bakushô du Régent. Le connaissait-il peut-être ? C’était une question trop indiscrète pour traverser la bouche du Médecin. Calmement, il soupira sans modifier la position de son corps, ses yeux cernés toujours perdu dans les ébènes de son interlocuteur. L’éclat qu’il y avait, alors qu’il avait pris le peu de confiance nécessaire au cours de son explication, était devenu un réel incendie. Il ne restait plus qu’à espérer qu’il ne lui brûle pas toute la raison.

« Je comprends où vous voulez en venir. Vos intentions, vos projets – malgré la maigre ébauche que vous m’avez donnée, j’arrive à les comprendre. Alors oui, je vous répondrais honnêtement. Je ne serais pas particulièrement déranger à l’idée de travailler avec vous, tant que chacun garde une part de son autonomie. Même si j’imagine que vous en êtes conscient… Je ne parlerai qu’en mon nom devant le conseil. Qu’avec mes mots. Mais ça n’empêche en rien que l’on discute de ce qui s’est dit entre nous derrière. Ma porte vous restera ouverte, mais je refuse d’être impliqué dans un quelconque complot politique ou que sais-je. Notre relation sera limitée à de la discussion des problèmes de Kumo entre deux membres de départements différents partageant un même objectif. Qu'en dites-vous ? »

Inspirant calmement, Shigeru décontracta sa posture, s’installant plus librement devant son bureau. Quelques instants, c’est tout ce qu’il laissa au Bakushô pour entendre, comprendre et répondre. Ce n’était pas habituel de sa part d’imposer ses propres conditions, mais il craignait que l’ardeur de l’ainé obscurcisse, un jour, sa logique – il était nécessaire de trouver des moyens de préventions. Ainsi, il s’assurait de respecter la loi du village et de pouvoir se retirer de l’engagement à tout moment.

« Quant aux ressources du département que vous demandez… Je ne possède qu’un accès limité qui m’est donné par Ministre Hashiru-Sama. Je préférerais que vous alliez vous entretenir directement avec lui à ce sujet – il vous sera certainement d’une plus grande aide, ayant la totalité des pouvoirs au sein du département. De mon côté… Si vous avez des besoins particuliers, je pense pouvoir essayer d’obtenir certaines informations. Dans le cadre d’un échange équitable entre nous, bien sûr. »

C’était une proposition honnête et juste selon le Médecin. Plus, même – c’était le maximum qu’il pouvait accorder à cet homme au décours d’une entrevue. Rien n’excluait, dans sa perception, d’élargir le champ de cette coopération entre départements selon le déroulement de celle-ci. Actuellement, l’heure était juste trop précoce pour se permettre plus. Shigeru était certain que son invité comprendrait parfaitement les tenants et aboutissants de cette histoire.

Satisfait de l’offre qui t’es faite, tu hoches la tête. Tu étais venu en espérant même moins que ce qui t’étais proposé. Un allié de taille – c’est l’impression que tu as concernant le médecin. Combien même il ne soit pas au courant de tous tes projets, de toutes tes lubies : c’est suffisant pour un partenariat prospère et, surtout, profitable. Tu ne t’attendais pas à ce qu’il te croque la main avec une telle force, acceptant bien plus que les quelques graines que tu lui lançais mais qu’importe – cela te convient à merveille. Avec lui de ton côté, tu gravis une marche vers ton futur. La plus petite, peut-être, mais une marche néanmoins. Tu te penches légèrement sur le bureau alors qu’il continue d’énoncer ses conditions. Soudainement, ça te frappe de plein fouet. Tu n’envahis plus son espace personnel en faisant ce geste – tu résides désormais dans un espace partagé. Malgré toutes les désinformations sur lesquelles cette relation vient d’être construite, tu as l’espoir qu’elle dure. Assez au moins pour que tu puisses tout récupérer de la part du Médecin. Après, ce ne sera qu’un témoin gênant qu’il te faudra éliminer. Alors qu’il te laisse une pause, tu comprends que c’est une réponse qu’il demande. Tellement prévisible.

« Je ne peux qu’en dire que j’accepte. Vous prenez beaucoup de précautions vis-à-vis de moi, et j’espère que vous comprendrez que j’en prendrais tout autant vis-à-vis de vous de mon côté. Cependant, ce sera les mêmes que les vôtres donc je me permets de ne pas les repréciser. Nous sommes deux hommes intelligents ayant choisi une organisation raisonnable pour le village. J’en suis ravi. »

Avec élégance, tu enfiles à nouveau ton gant ce qui te permet enfin de relâcher le point. Parfois, tu te poses la question. Parfois, tu le penses vraiment. L’avidité de ces bouches doit être celle de ton avidité à écraser les ennemis qui se dressent sur ton chemin – c’est peut-être la raison pour laquelle tu choisi tellement de les cacher. Préserver ton image d’homme lisse mais sans plus, marqué par son histoire. Tu sais que ce sera important pour la suite. Le médecin t’adresse un petit sourire alors que tu réponds à sa question, puis enchaîne sur les ressources dont tu as besoin. Oui. C’est naturel et évident. Hashiru-Sama. Une marche de ta quête qui apparaît bien plus tôt que tu ne le pensais, mais tu ne vas pas te plaindre. Après tout, l’approche sera la même qu’avec son subordonné à peu de choses prêt.

« Cela me semble d’une logique évidente également. Faisons donc ainsi, Shigeru-san. »

Légère marque de proximité que tu te permets, tu ne le vois pas réagir autrement qu’avec un sourire. Oui. Il est dans le creux de ta main, s’approchant dangereusement de la gueule qui y habite – un jour, elle le croquera. A moins qu’il n’arrive à se trouver plus de valeur que ce qu’il a actuellement. Tu te relèves, doucement, sans le quitter de tes yeux.

« Pourriez-vous satisfaire à une curiosité de ma part, pour sceller cet accord officieux ? J’aurais aimé rencontrer cette amie qui a eu l’intelligence de vous convaincre. Quelque chose me dit que nous risquons de nous entendre, elle et moi. Si cela ne vous dérange pas, bien sûr ? »

Tu le vois hocher négativement la tête et soupirer, une fois de plus. Il le fait tellement souvent que tu n’es même plus capable de dire s’il y a une réelle pensée derrière, ou s’il s’agit d’une habitude. Pourtant, tu souris – Senritsu Hak. Une identité tellement douce que tu vas t’empresser de décortiquer. Le comportement du Docteur signalait bien qu’il cachait une partie de ses pensées sur cette femme, mais tu ne comptes pas t’arrêter là-dessus. Après tout, elle serait peut-être plus intéressante à côtoyer que lui ? Tu hoches la tête bien bas en signe de remerciement et sors, heureux de ta première réussite.

HRP: