Un couloir sombre entrecoupé de quelques tâches lumineuses symbolisées par des torches rudimentaires enflammées. L’endroit n’était pas inconnu au nécromancien qui avait déjà par le passé explorer ces galeries souterraines s’étendant sur des kilomètres dans les profondeurs terrestres. Un véritable labyrinthe pour tout novice non accompagné. Même les senseurs ne pouvaient s’y repérer ici. L’infrastructure avait été conçue pour que seuls ceux autorisés puissent retrouver leur chemin. La première fois qu’il était venu ici, c’était lorsqu’il était tout jeune. Ryûku, son senseï dans l’art de la nécromancie, l’avait emmené dans ces tunnels afin qu’il puisse développer le don qu’il maîtrisait parfaitement aujourd’hui. Le bon vieux temps pourrait presque faire sourire le Fossoyeur.
Mais il chassa ses pensées de son esprit. Ce qui l’amenait ici, ce n’était ni les souvenirs d’antan ni des commodités mondaines. Il faut dire que la personne qu’il venait voir ici n’avait rien de commode. Mais il l’aimait bien quand même. Au final, ils se ressemblaient beaucoup tous les deux. Cette fois par contre, la réflexion arracha une esquisse de sourire malicieux sur le faciès du binoclard qui continuait sa marche.
Les intersections se succédaient, se ressemblant toutes. Pour autant, le pas du Shinda était guidé par l’habitude et l’expérience. Cela faisait certes quelques temps qu’il n’était pas venu mais ses souvenirs restaient bons sur le parcours à prendre. Il finit d’ailleurs par arriver au terme de ce labyrinthe. La dernière « épreuve » pour en rencontrer le fondateur et propriétaire consistait en une pièce carrée dont l’un des murs était décoré de trois portes en bois. Un simple écriteau vieilli par le temps et les mites indiquait :
« Un seul choix possible ». A côté du panneau en bois, pour égayer la pièce, une petite case dessinée à même le mur représentant une tête de mort. Sans même s’attarder sur une des portes en particulier, Michiki fit un pas vers l’écriteau, déposa une main sur le crâne squelettique. Suivi un grincement alors qu’un pan de mur sembla se renfoncer sur lui-même avant de glisser sur le côté pour offrir une nouvelle entrée au nécromancien.
Il s’engouffra dans un petit sas sombre. Le battant de pierre pivota derrière lui pour le plonger dans l’obscurité totale. Enfin pas tant que ça au final puisqu’à quelques mètres, un rideau occultait la lumière qui semblait se dégager de derrière. Droit vers la pièce de tissu, Michiki l’écarta pour faire face au propriétaire :
- Spoiler:
Ce dernier le fixait déjà de son regard azuréen. Il avait dû être mis au courant de sa présence depuis longtemps déjà. Michiki accueillit donc le regard d’un petit sourire en coin :
-
Ravi de voir que tu n’as pas changé. -
« Ravi » de voir que tu ne t’es toujours pas changé. Sérieusement je crois que je t’ai toujours connu avec ces fringues ! Tu pourrais pas te rhabiller un jour ? -
C’est pas dans mes priorités non ! Le dealer d’Ame n’avait pas changé d’un pouce. Même pas pris une ride. Cela dit ce n’était guère étonnant vu qu’il était encore assez jeune. Il devait être l’aîné de Michiki de seulement une dizaine d’années. Ce dernier aurait donc été surpris s’il avait vu le visage du jeune homme déjà endommagé par les ravages du temps.
Sur la table qui faisait face au propriétaire des lieux, une série d’ustensiles tous plus repoussants les uns que les autres. S’accumulaient à même le bois terni par l’usage : des aiguilles de toute forme et de toute longueur, des seringues à l’aspect inexplicablement rouillé, plusieurs outils en inox totalement sales et une vaste collection de pots en terre cuite. Leur contenu ne faisait pas un doute lorsque l’on connaissait l’homme qui s’en servait. Tout l’ensemble était éclairé par une lumière blafarde non naturelle qui grésillait par moment. Assis sur un simple coussin à ras la table basse, le propriétaire détailla son invité. Le nécromancien quant à lui avait reporté son attention sur la troisième « présence » dans cette pièce.
Un squelette d’homme adulte épaulait celui qui scrutait la trogne de Michiki. Le Fossoyeur ne connaissait que trop bien les us et coutumes de l’endroit. Raison pour laquelle il s’inclina respectueusement face au tas d’ossements :
-
Mes respects monsieur Kateo, dit-il sereinement.
-
T’as vu Papa ?! Tu le reconnais hein ?! C’est le ptit Michiki, le protégé du vieux sénile et de l’autre affreuse bonne femme. -
J’ai témoigné du respect envers ton père, fais en de même quand tu parles de mes « parents », rétorqua le Shinda un peu sèchement.
-
Oh mais j’ai toujours eu le plus profond respect pour les morts !S’ensuivit un silence de cathédrale, alors que l’interlocuteur de Michiki lui arborait son plus beau sourire. Ce qui était assez difficile au vu de l’état de sa dentition. Le Fossoyeur resta impassible, attendant quelques secondes avant de reprendre :
-
J’ai passé les trois dernières années de ma vie à traquer le salaud qui a buté Kazumi. -
Et c’est un succès flagrant puisque le susdit salaud court encore ! Et que dire de celui qui a crevé Ryûku.Michiki resta encore plus stoïque à ces mots. Son interlocuteur était également au courant de ça. Ce type était plein de ressources, c’en était énervant. Ou plutôt frustrant. En fait son beau discours sur le respect de ceux à qui il devait tout n’était que du vent et son hôte le savait très bien. D’où le fait qu’il se soit permis une remarque un peu trop osée. Il l’avait fait exprès pour lui foutre le nez dans sa merde en fait. D’où le radieux sourire couleur piano qui n’avait pas quitté son visage. Mais il détourna enfin le regard pour s’affairer à sa table.
Sans attendre d’y être invité, Michiki prit place face à lui sur un coussin miteux posé là. il observa silencieusement le petit manège du dealer qui commençait à se concocter une dose d’on ne savait trop quoi. Quand on voyait les dégâts sur sa personne, il devait y avoir là un peu de souffre, du phosphore et de l’essence de Makka elle-même ! Un coktail explosif, mais nocif qui lui avait provoqué pas mal de chamboulements. Et Michiki ne pensait pas ça uniquement parce que ce type parlait à un squelette. Il eut un regard en coin pour ce dernier. S’il y avait une autre chose qu’il avait appris en ces lieux, c’était de ne jamais demander ce qui avait amené le paternel de cette énergumène à finir en pub ambulante sur l’importance du calcium.
Alors que le trentenaire face à lui terminait sa mixture, il plaça deux seringues de chaque côté du bol où reposait le liquide verdâtre. Il releva la tête et demanda très simplement :
-
T’en prendras combien de grammes ? -
Comme d’habitude, lui répondit Michiki avec exaspération.
-
Bon sang gamin depuis que je te connais tu refuses toujours mes invitations. Je t’ai déjà dit que c’était pas de la merde qu’on te refile n’importe où. Ça c’est pas de la cochonnerie !Et il ponctua sa phrase d’une piqûre dans le bras après avoir rempli soigneusement l’une des seringues. Face au refus du nécromancien, il remplit la deuxième et enchaîna :
-
Remarque t’as raison de refuser ça en fait plus pour moi.Et la mixture termina direct dans les veines du trafiquant. Il mit un instant à se remettre de ses émotions. Les années passées à ingérer par tout pore de sa peau de telles substances l’avaient presque immunisés des effets notoires et/ou apaisants. Il devait se prendre une bonne dose de cheval avant d’être réellement sous l’emprise de ses préparations. Ce qui lui permettait de garder une once de « lucidité » dans ses paroles. Même si Michiki soupçonnait qu’il n’en ait jamais eu, et ce bien avant qu’il ne devienne ce qu’il était aujourd’hui. Mais l’intéressé renversa vite sa tête vers son invité pour le fixer dans les yeux, essayant d’attraper son regard derrière ses lunettes mauves :
-
Encore quand t’étais à peine majeur, je veux bien comprendre. Mais là on est entre hommes bon sang ! Tu crois que c’est comme ça que tu deviendras un grand ?! Demande à Papa comment qu’on fait.Il gratifia le squelette d’une tape sur l’épaule qui manqua d’ébranler l’ensemble. Et le silence mortuaire pour seule réponse. Le bonhomme retourna aussi naturellement à ses occupations, rangeant un peu le matériel qui traînait. Il fit littéralement table rase avant de venir laisser choir sa main contre le panneau en bois. La vibration se propagea jusque dans les contenants posés sur la table. Les deux hommes échangèrent un regard, le dealer eut un sourire faux et le brisa aussi sec lorsqu’il se remit à parler :
-
Alors dis-moi un peu ce qui t’amènes. Je me doute que notre agréable compagnie à Papa et moi ne t’a pas poussé à te taper plusieurs kilomètres de marche. Alors dépêche-toi de me dire ce dont t’as besoin. C’est pas que je suis pressé mais on a un cours de rumba après.Sans porter aucune attention à l’absurdité de ces paroles, Michiki sortit calmement un morceau de papier de l’une de ses poches. Il sortit par la même une cigarette qui traînait là. Une aubaine ! Chacun son petit péché mignon après tout. Mais à peine l’eut-il mis dans le bec qu’elle finit roussi sur place par un petit jet de flammes. Michiki eut un regard surpris pour son interlocuteur dont la bouche fumait encore.
-
La règle n’a pas changé : pas de ces saloperies ici. Je veux pas choper une merde à cause de tes trucs.Michiki n’avait pas souvenir de toutes les règles qu’il fallait respecter face à cet homme. Cette dernière lui échappait totalement à chaque fois. Si la drogue était monnaie courante chez lui, il était presque inconcevable de comprendre son aversion des clopes. Mais comme toutes les autres règles faisant loi ici, il valait mieux ne pas chercher à comprendre. Etant donné que la cigarette fut terminée prématurément, Michiki déposa la liste sur la table, la tournant de telle sorte que son hôte puisse en lire le détail sans se casser le cou.
-
Est-ce que tu aurais tout ça ? -
Alors voyons. L’aménite, il m’en reste ouais. Les goushias, je dois en avoir. La belcrade si l’autre garce m’a pas tout piqué il m’en reste…Et il détailla ainsi à voix haute chaque ingrédient noté avant de finalement se lever. Il farfouillait dans chaque coin de la pièce, inspectant le moindre recoin étrange pour en dénicher une dose de ce que le Shinda avait demandé. Le petit tas d’ingrédients s’amoncela devant ce dernier qui en faisait le compte. Puis le dealer revint à sa place, balançant sur le haut du paquet une dernière touffe d’herbe séchée. Il en prit un brin qu’il glissa dans sa bouche. Il commença à mâchonner alors que Michiki sortit un parchemin pour tout sceller en un coup.
-
Ma foi c’est parfait ! Merci Hanzô, toujours aussi pro. -
Y a pas de quoi l’affreux. Mais dis moi un truc, tu comptes nous préparer une attaque biologique sur quel village avec ça ? -
Je ne vise pas de village voyons. -
Usage personnel ? -
On peut dire ça. -
Tu te droguerais avec ça ?! s’étonna le dénommé Hanzô.
Et même pas avec ma came de professionnel ! C’est du joli que tu peux préparer avec ça mais ça ne vaudra jamais l’une de mes potions magiques. -
Je te rassure je comptais pas ingérer ça. Sauf si je voulais que mon organisme développe une immunité face à cette daube. Non j’avais en tête une utilisation plus…spartiate de la chose.Un sourcil s’éleva haut sur le front du dealer. Un sourire franc et honnête s’afficha par la même occasion que le mince trait de poils s’était soulevé. Il avait l’air amusé de la chose. A n’en pas douter, il avait compris où voulait en venir le nécromancien qui souriait lui aussi, satisfait du petit effet qu’il venait de produire. Il fallait être doué pour surprendre celui qui lui faisait face. C’était d’ailleurs la première fois depuis toutes ces années qu’il y parvenait.
-
Tu penses donc à un poison de combat ? -
Tout à fait.Un éclat de rire rauque accompagna la réponse toute simple. Le squelette jusque-là maintenu tant bien que mal en position assise vint s’écrouler sur la table, tête la première. De là où il se tenait, Michiki ne pouvait donc qu’admirer le sommet de son crâne tandis que le propriétaire de ce corps osseux continuait dans son hilarité. Il finit par se calmer après une ou deux minutes, les larmes aux yeux. Il passa une main sur le coin d’un œil et il entreprit de relever son père pour le réinstaller convenablement. Lorsqu’il en eut fini avec ça, il en revint à sa discussion :
-
Ryûku avait bien raison. T’es qu’un vieux serpent fourbe. J’aimerais pas être celui qui se retrouvera face à toi avec un poison comme ça dans ton arsenal. -
Je te rassure, j’aimerais pas me retrouver contre toi non plus, répliqua Michiki.
Un petit sourire se partagea entre les deux hommes. Oui, s’il y avait affrontement un jour ou l’autre entre ces deux-là, ça promettait ! Le dealer tapa une nouvelle fois sur le panneau en bois pour renchaîner :
-
Bon ! Il te fallait autre chose ? -
Non j’ai tout ce qu’il me faut normalement. Je repasserais peut-être d’ici quelques mois pour une commande de recrues. Si t’as des potentiels intéressants je serais pas contre. Ma collection commence à prendre la poussière. -
Je devrais avoir un nouvel arrivage ouais. C’est pas la belle époque de la Brume Sanglante mais deux, trois massacres arrivent parfois.Michiki eut un léger blocage à l’évocation de la Brume. Il connaissait son interlocuteur. Il choisissait toujours bien ses mots. Donc les sous-entendus passaient toujours très délicatement. Il lui suffit d’un regard vers Hanzô pour remarquer le clin d’œil qu’il lui accorda. Le Fossoyeur secoua la tête de droite à gauche avec un petit rictus en coin. Le propriétaire des lieux se leva en même temps que son invité qui commençait à prendre la direction de la sortie. Il avait son parchemin de fournitures donc plus rien ne le retenait. Hanzô se tint immobile, mains dans les poches, l’observant. Michiki lui accorda donc son salut :
-
Il me reste plus qu’à prendre congé de vous. Ravi de vous avoir revu monsieur Kateo. Au fait Hanzô ! Tu passeras le bonjour à ton frère pour moi quand tu le croiseras. -
C’est un sac à purin mon frérot ! Il est reparti faire mumuse aux petits pantins dans son bac à sable géant. Qu’il y crève toute façon c’te salaud.L’amour fraternel était immense dans cette famille. L’amour paternel y était déjà particulier alors entre frères il n’en était que plus…amoindri. Hanzô partit récupérer son géniteur à sa place, entourant un bras autour de ses épaules. Il lui murmura là où devrait se trouver ses oreilles quelque chose d’inaudible mais ressemblant à : « Tu dis au revoir à Michiki ? ». Le nécromancien préféra ne pas y accorder d’importance. Il écarta le pan de tissu servant de rideau entre le sas et la pièce sombre. Alors qu’il allait retrouver le labyrinthe, il fut rappelé par une remarque :
-
Et toi par la même tu passeras le bonjour à l’Hydre.Michiki fit volte-face brutalement, les yeux écarquillés. Hanzô fut content de l’effet qu’il venait de produire. Il ricana de contentement. Rien d’étonnant après tout. S’il y avait bien une personne capable d’être au courant sur cette terre, c’était ce petit dealer tout discret qui avait pourtant un réseau d’informations impressionnant dont on négligeait l’ampleur. Michiki reçut donc la réplique d’un simple sourire carnassier et d’un très aimable :
-
Tu viendras lui dire en face un de ces quatre ! -
Ça va pas ou quoi ?! C’est ton œuvre donc ça doit être de la merde. Je ne traîne que dans les hautes sphères moi monsieur. Retourne dans ta grotte.Et ce fut sur ces mots qu’il le gratifia d’un beau majeur bien levé vers le ciel tandis que les autres restaient repliés. Et au même moment, le squelette s’anima ; son bras se soulevant pour que la main vienne accorder un petit salut.
«
Ces deux-là décidemment… » songea Michiki.
- Aux lecteurs:
A très chers vous qui avez eu la foi (et le temps) de lire tout ça,
Je préfère préciser que naturellement, s'agissant d'un PNJ de mon personnage, il est au courant de beaucoup de choses sur son organisation, qu'il le mentionne brièvement mais que bien sûr il n'appartient qu'à moi de le jouer et de décider ce qu'il sait. Et ce qu'il sait il ne le dira point. Par ailleurs je mentionne un réseau d'informations très poussé qu'il posséderait, je ne passerais néanmoins pas par cette intermédiaire médiocre pour dire que je sais tout ce qui se passe dans ce monde, ce petit texte en apportant la preuve.
Bien à vous !