Archipel de Mizu no Kuni, plus précisément l’une des îles secondaires à l’extrême ouest. Le crépuscule est enclenché, l’astre solaire se fondant dans l’horizon. Situé à la cime d’une montagne sur le rebord d’une falaise, là où les zéphyrs sont glaciaux et puissants, le jouvenceau observe ce spectacle de son regard de braise et d’océan avec peu d’intérêt. Ses deux sabres accrochés à son dos, son manteau d’ébène couvrant son corps et la capuche laissée à elle-même. Avec tous les événements qui font rage sur ces terres depuis quelques semaines, il n’y a guère d’espace disponible dans son esprit pour contempler le paysage de Mère Nature. À vrai dire, le conflit entre la nation impériale et les Nuages ne réussit pas à capter totalement son attention. Kumo désire empêcher la renaissance imminente du Brouillard alors que l’ancienne Alliance combat pour l’opposé. Il était évident depuis le début de la rencontre que la Foudre allait perdre cet affrontement et rentrer au bercail bredouille, uniquement avec des deuils sur la conscience et aucun chant de victoire à proclamer haut et fort une fois au foyer. Le pays revient donc à l’Empire. Néanmoins, le dernier échange diplomatique ne s’est point déroulé comme il était prévu et une alternative se forme dans l’univers.

Que Kiri renaisse avec ou sans le support de Kakeshuou, cela importe peu au Yuuki. Quoi qu’il en soit, la Brume d’antan renaîtra de ses cendres tel le légendaire phénix. Il est difficile de prédire si le village retrouvera sa position dominante de l’époque ou simplement la puissance nécessaire pour égaler l’un des quatre autres cités militaires, mais cela l’importe peu également. Il a tenu sa parole. Ses actions ont contribuées à payer sa dette. Désormais, plus rien ne l’affile au passé. Ce que réserve l’avenir à Kiri, seul les Hommes pourront en décider. L’Homonculus n’est pas intéressé à collaborer avec l’humanité… D’autant plus que la situation internationale dégrade de jour en jour.

Ce train de pensée l’amena inévitablement à une interrogation fondamentale : s’il décide d’arrêter de se mêler au courroux des humains, que doit-il à présent faire ? Lui qui a été conçu pour combattre jour et nuit afin d’apporter l’Ordre; lui qui a vu sa race se faire décimer; lui qui est devenu une légende du monde Shinobi malgré lui. Lorsque le jeune adolescent se projette dans l’avenir, il n’y voit qu’un abysse ténébreux. Il ne voit que l’incertitude. Est-ce que cela signifie qu’il a épuisé son utilité ? Qu’il peut dorénavant lâcher les armes et tenter de vivre une vie ordinaire dans ce monde tordu ? Sans raison de combattre; sans ordre à recevoir, son existence devient un paradoxe. Son choix de rester hors des conflits est une ironie. Toutes les fibres de son corps font appel au sang alors que son esprit demande des réponses, des objectifs qui lui sont propre et non basé sur ceux des autres. Pour un être qui a vécu une vie dictée par les ordres, les lois et les règles, réfléchir et trouver une réponse est un processus qui peut prendre des jours, des semaines, des mois, voire des années. Il doit sortir de sa zone de confort et oser aller au-delà des limites qui lui ont été imposées.

Un sentiment le perturba. Le jouvenceau détecta une signature de chakra au bas de la montagne. Elle escalade rapidement le mont. Un hoquet de surprise s’échappa de sa gorge lorsqu’il reconnut cette énergie avant de fermer les yeux, attendant patiemment la venue de ce nouveau venu. Sa présence se fit sentir dans son dos deux minutes plus tard. Ce fut l’Épéiste Noir qui engagea la conversation, ses perles bicolores toujours rivées sur la brunante.

• Je ne te croyais toujours pas en vie.

• Aw, come on ! Tu supposais sérieusement que j’étais en train de pourrir au fond d’une bassine de déjection animale ? Tu blesses mes sentiments.

• … Non, pas totalement. Néanmoins, tu n’étais pas localisable. La possibilité était réelle. D’autant plus que tu avais une situation particulière sur les mains.

• Heh. J’suis un dur à cuire. Y’a toujours moyen que je m’en sorte. J’peux prendre place ?

Sans attendre une affirmation de la part de l’hôte, l’individu s’assied sur la plateforme rocheuse aux côtés du manieur des Doubles Lames. Pour la première fois en cinq ans, les deux personnages s’échangèrent un regard. L’un ou l’autre n’avait pas changé. Dans le cas de Setsuna, l’explication est logique : les chimères ont une période juvénile plus longue que l’humain ordinaire et le Kirijin était piégé dans une prison de glace pendant quatre ans. De son côté, le brun ressemblait tout au plus à un adolescent alors qu’il devait être âgé de vingt-deux ans à l’heure actuel. Adulte, il garde ses traits de jeunesse. Aucun toast pour célébrer les retrouvailles, le nouvel arrivé fit la moue dès installé et posa sa première complainte.

• Eh bien, t’as vraiment une tronche de merde, aujourd’hui. Qué passa ?

Fidèle à lui-même tel qu’il l’avait quitté auparavant. Ce jeune homme n’a point changé. L’assassin chercha les bons mots pour se confesser, laissant un silence perdurer pendant quelques secondes.

• Je remets en question mon existence, mon avenir, mes choix...

Le Yuuki n’acheva pas sa tirade. Toutefois, son homologue comprend le message qu’il souhaite véhiculer. Ce dernier s’abstint de tout commentaire mesquin grâce à un effort draconien et adopta une mine sérieuse et attentive. Son regard d’émeraude vogua vers les cieux orangés et prit la parole quelques instants plus tard.

• T’sais, je connais ton backstory. Je peux m’imaginer dans quel genre de conflit tu es présentement. Je ne crois pas pouvoir t’aider – enfin, quasi personne sur cette Terre ne peut t’aider. Tu es unique, Setsuna. Je peux comprendre l’intention de vouloir suivre sa propre volonté – ce qui est déjà un bon début. Vouloir suivre sa volonté exprime en soit sa propre volonté. Enfin, je tombe dans un délire philosophique, alors passons. Mon point est : tu as besoin de temps, mec. Pour réfléchir par toi-même, loin des tumultes du monde. Et j’ai l’endroit parfait en poche.

Le scarifié n’esquissa le moindre geste à l’entente de ses mots, réfléchissant à la proposition de son acolyte. Prendre du temps pour réfléchir à son futur incertain semble être la meilleure approche pour l’heure, sans contact avec le monde extérieur. Il sera libre de toute influence et pourra méditer sur sa situation autan qu’il le souhaite.

• Ça m’a l’air sympa. Cela signifie cependant devenir un renégat de l'Empire.

• Est-ce que ça te dérange vraiment ? J'parie que t'étais là uniquement pour Kiri, il n'y a donc plus rien qui te retient là. Même si le destin de la Brume reste incertain, elle va voir le jour de nouveau. Enfin, passons. Ce n’est pas tout à fait la solitude absolue qui t’attend là-bas. L’endroit est peuplé… Mais tu n’auras aucun problème avec les habitants. Tu auras tout là-bas : bouffe, toit, silence. Je viendrais te rendre visite une fois de temps en temps. Signale simplement que c’est moi qui t’envoie.

D’un bond, le jeune homme se releva et tendit sa main à l’intention de son compagnon. Ce dernier l’attrapa et se releva à son tour. Les lèvres du dernier chef de la brigade des Épéistes esquissèrent un fin sourire reconnaissant.

• Toi, m’aider… Je ne l’aurais jamais cru. Merci, Kira. Je reviendrais aussi vite que possible.

• Toi, me remercier, ça me dépayse. Aha. Fait plaisir, l’ami. Prends ton temps. On ne décide pas en une heure les principes que nous allons suivre toute une vie.

Kira renvoya un sourire à son tour et effectua des mudras de sa main libre, enclenchant l’invocation reversée. Aussitôt retrouvé, aussitôt séparé. Setsuna disparut en une nuée de fumée à une localisation que seul lui connaît. Ses prunelles céladons contemplèrent de nouveau la voûte céleste carmin à l’horizon avant que sa senestre vint frapper la paume de sa dextre, un sourire narquois sur son minois.

• Okaaay !! C’est l’heure de foutre la merde !