Le pianiste continuait d’exercer son art. Revoir cet « ami » ne lui avait fait ni chaud ni froid, car il était satisfait de savoir qu’il allait continuer à rester caché, sans rien faire. Tous les deux avaient cerné dans les conjonctures politiques que le monde était désormais enclin à entrer en conflit avec lui-même. Les allégeances allaient faire réfléchir, bouger, saigner et tuer. Et pour quelqu’un qui, comme Kyoshi Rei, rêvait de voir les shinobis annihilés, c’était une chance. Mais allait-il se satisfaire de la lenteur que les choses allaient prendre ? Car pour le moine, s’il semblait effectivement que les shinobis rentreraient en conflit, il pensait que ça prendrait un certain temps avant que des actions véritables soient menées.

Quelque part finalement il était inquiet. Et il savait qu’on ne pouvait pas se fier à celui qui avait été l’Homme Masqué.

Une femme était entrée dans la pièce. Et elle ne se fit pas prier pour prendre la parole, et perturber la douce mélodie qui se jouait dans une atmosphère pourtant si agréable.

« Howaito, il y a quelqu’un dehors, avec Rei.
─ Oui, Anami, ça te surprend encore ?
─ Non, c’est un chakra différent. »

Il s’arrêta de jouer. Ses yeux se fermèrent par dépit. Après un soupir, il se leva et s’en alla par la porte d’entrée en courant.

En descendant les escaliers, il entendit clairement quelqu’un s’enfuir avec précipitation. Howaito sauta les dernières marches, manqua de trébucher, et se retourna enfin vers la sortie.

Mais il était trop tard. Il ne restait plus que l’homme qu’il avait rencontré plus tôt. Kyoshi Rei. Ce dernier ramassait un bandeau. Malgré l’obscurité ambiante, le Gekei y remarqua avec assez de précision pour en être sur le motif du village caché du Sable.

« On ne peut vraiment jamais se fier à toi, hein ? »

Sur quoi il arracha un sourire forcé, et dérangé.

La personne qu’il venait de rencontrer était partie, et une autre était aussitôt arrivée. Howaito, que faisait-il là ? Qui avait pu lui dire qu’il y avait deux personnes dehors, si du moins il l’avait deviné ? Son bras droit, forcément. Après tout, lui aussi en avait un, et Anami avait justement des dons en sensorialité. Malgré ses faux airs de barbare et son imposante épée, la dénommée Daini avait des dons intéressants. Mais fort heureusement, le haut-placé de Suna venait de partir. Et même s’il avait laissé tomber son bandeau dans la précipitation, il était impossible vu son retard que le moine eut aperçu le visage de ce dernier. Qu’importe les déductions qu’il pourrait retirer de ce qu’il avait vu, le membre de Suna resterait un inconnu aux yeux du Gekei.

Le Yondaime Kazekage soupira à la vue de celui qu’il considérait presque comme un ami. Mais un ami ne voulait rien dire, en réalité. Kadoria Uriô l’avait été, et il était mort. Mais se battre ici avec le moine n’aurait aucun sens. Anami n’était pas là et n’avait pas été prévenue qu’il pourrait y avoir d’éventuels problèmes. Pourquoi l’aurait-il prévenue ? Howaito n’était au final qu’un homme qui se satisfaisait de son intelligence et du savoir, mais qui n’en faisait jamais usage. Mais c’était un shinobi. Et il voulait en terminer avec les shinobis.

« Tu sais bien que non. Tu aurais mieux fait de rester jouer ton morceau… Mais maintenant, j’imagine que tu veux des explications ? »

D’un air nonchalant, il mit les mains dans ses poches et regarda son interlocuteur d’un regard fatigué. Comme s’il était déjà lassé de devoir en arriver là.

« Nous raisonnons de façon semblable, alors ce que je vais te dire ne te surprendra pas : ça n’ira pas assez vite. Les Daimyôs et certains clans commencent à se poser des questions, c’est vrai, mais les nations comptent encore trop peu de shinobis à leurs côtés pour pouvoir tenter quelque-chose. Sabakyô Seitô et son organisation ? Une secte dirigée par un gourou qui se plait à rassembler le plus de fidèles possible. Les Furyous ? Disparus. Ce « Kurai Hikari » ? Des barbares en sous-effectif. Le Shozaichi ? Une capitale qui s’est faite attaquer plus de fois qu’elle a osé croire en ce qu’elle représentait. »

Il sortit sa main droite de son pantalon et chercha quelque-chose derrière, à sa ceinture. Un masque blanc. Kyoshi Rei le regarda, et se rappela toutes les fois où il l’avait porté.

« J’ai aidé les shinobis à éliminer Gogyou Makka car elle représentait une menace même pour moi-même et parce qu’elle était foncièrement l’incarnation du mal. Mais tous les autres, désormais, ne sont rien pour moi hormis des shinobis. Et je ne veux pas perdre davantage de temps. Je pensais que les Furyous dureraient plus de temps et feraient un nombre plus conséquent de victimes, mais il n’en est rien. L’Homme Masqué va réapparaître. Et il va s’attaquer à un des cœurs du problème. »

Son regard se détourna du masque pour s’en aller voyager dans les yeux attentifs de l’ancien Kiezan. Il le dévisagea.

« Je vais détruire Suna. C’est le village qui m’est le plus accessible. Et je te le dis car tu sais très bien que même si tu t’en mêles, je ferai ce que j’ai à faire. Les Kage ne m’ont pas arrêté quand je me suis joué d’eux. J’ai joué avec le Furyou Meteora. Tu ne pourras pas m’arrêter, et tu le sais. »

Il écouta. Et il se détesta à certains moments de comprendre, voire même d’approuver certaines phrases du Kyoshi. Effectivement ils se comprenaient, effectivement ils raisonnaient de la même façon. Et ce qu’il disait était logique. Mais au fond, ne restait-il pas qu’un fou aux envies meurtrières ? Si jamais il n’avait pas su ce qui était arrivé à sa femme, si jamais il n’avait pas eu un intellect allant dans le même sens, peut-être aurait-il pu s’opposer clairement à lui. Néanmoins en l’était Howaito n’était qu’un homme qui écoutait quelqu’un annoncer un évènement contre lequel il ne pouvait rien… et pour lequel il n’était pas foncièrement contre. Oui il respectait plus les vies humaines que son interlocuteur, oui il était abasourdi de voir que la destruction de Kiri n’avait pas davantage servi d’exemple et de fer de lance à un changement politique important.

Mais pourtant, quelque-chose n’allait pas. Il ne pouvait pas l’approuver. La cité de Suna détruite. Et forcément… Kawaguchi Tsukiko. Il ne voulait pas la perdre, encore moins sans l’avoir revue. Quelque-part, c’était peut-être ça qui le gênait. S’imaginer que cette jeune femme puisse périr.

« Pour les Kiezan dont j’ai fais partie, ce que tu t’apprêtes à faire est un péché Mais ça, tu le sais très bien. Pour moi, tu n’es qu’un homme malheureux qui noie sa tristesse et sa haine dans de la barbarie idiote. Mais nous sommes faits différemment et te dire que tu as tort ne servirait à rien. »

Ses yeux balayèrent rapidement le sol avant de retourner vers ceux qui portait le masque blanc entre ses mains. Il allait commettre un attentat. Ce n’était pas à prendre à la légère.

« Qui te fais penser que je t’en empêcherai ? Au contraire, je veux bien t’aider. Mais à une condition : que tu épargnes une femme. Elle s’appelle Kawaguchi Tsukiko. Si tu le fais, je suis prêt à te rendre un service dans ton action, sur place. »

Il savait que ça allait l’intéresser. Mais dans le même moment, Howaito se disait que même s’il ne savait pas s’il devait s’opposer à cet homme, il devrait forcément le faire un jour. Car l’Homme Masqué voulant la fin des shinobis et le moine en étant un… leur affrontement n’était qu’une question de temps.

« Mais fais attention. N’oublie pas qu’aussi imparfaits soient-ils, les shinobis et les villages ont fait de grandes choses. N’aie pas peur de moi, tu as raison, je n’ai ni l’envie ni probablement la capacité de me risquer à me confronter à un plan que tu as du imaginer depuis des semaines. Mais les Sunajin eux, sont plus forts que tu ne le crois. N’oublie pas… »

Il esquissa un sourire. L’ironie du sort.

« … que c’est leur boulot d’arrêter des terroristes comme toi. »

Howaito… Si seulement il s’était décidé à être un peu plus vif, un peu plus actif. Il disait le comprendre, mais ça sonnait faux de la part d’un homme qui avait perdu ses parents n’étant même pas adulte. Lui avait perdu sa femme, c’était tellement plus… Ses poings se raidirent sous une colère maîtrisée, et calmée par la proposition surprenante que son interlocuteur lui fit. Mais elle n’était pas désintéressée : il voulait que quelqu’un dans le village survive. Kawaguchi Tsukiko, un nom qui résonna dans l’esprit aiguillé du Kyoshi. Une femme donc, du clan des manipulateurs du Sunaton. Elle ne serait pas difficile à trouver, sur place.

Dans ce cas, une partie de son plan allait pouvoir être facilitée. Mais avant d’en parler, il lui fallait quelques instants pour réfléchir à toutes les possibilités. Il ne s’agissait pas de prendre une décision hâtive qui pourrait conduire à une erreur.

« Un péché ? Non. Quand quelqu’un commet un péché, c’est qu’il croit que ce qu’il a fait est mal. Je ne suis ni un religieux, ni quelqu’un qui croit faire le mal. Je rééquilibre le monde. Les civils sont impuissants face aux shinobis : ce sont presque deux races distinctes. En supprimant les shinobis, je limiterai l’intensité des conflits et permettrait à ceux qui s’opposeront d’être plus proches les uns des autres. Personne ne surclassera véritablement son prochain, ce qui donnera plus de place pour la discussion, la diplomatie. »

Il avait tout le temps pour réfléchir à la proposition de son ami. Et il avait pesé les risques que cela entraînerait.

« Très bien, j’accepte. La vie de Kawaguchi Tsukiko contre un service. »

L’ancienne Ombre de Suna fit craquer ses doigts et sa nuque. Il ne fallait pas qu’il traîne, il avait encore des choses à régler, et à préparer.

« Tu annonceras à Habashi Zanshi que j’attaquerai par le sud du village, à l’opposé de la Voie Illusionnée. C’est tout ce que je te demande. »

Lentement, ses mains se rapprochèrent de son visage, sur lequel il fixa finalement son masque blanc. L’Homme Masqué…

« J’épargnerai sa vie, mais pas celle des autres Sunajins. Evacue le village et c’est elle que je tuerai en premier. Ne remplis pas ta part de notre marché et la prochaine fois que tu voudras jouer de ton piano tu y trouveras ses doigts attachés aux touches. »

Il se retourna, mais ne put s’empêcher d’adresser un dernier regard à l’ancien Kiezan.

« Mais tôt ou tard, vous mourrez tous les deux comme les autres. Pour Emi, pour ma femme. »

Et d’un bond, il disparut dans la nuit.