Chaque victoire méritait d'être arrosée comme il se devait. Et celle que je venais de remporter sur Rantan n'allait certainement pas faire exception. Suite à la perte de son parie, le très chers Juunin n'avait d'autre choix que d'aller payer sa consommation. Nous devions nous retrouver au Heaven Night. Déjà présente depuis un bon quart d'heure, je commençai à douter de son engagement. Lui qui venait d'apprendre que j'étais la fille de son chef, ce dernier même qu'il ne portait point dans son cœur, avait peut-être été refroidit par les faits. Je me sentais quelque peu déçue, ayant jusqu'alors souhaitée trouver un compagnon de beuverie avec qui m'amuser. Il fallait bien l'admettre, le bougre ne semblait pas singulièrement futé, mais restait tout de même fortement sympathique. Sans quoi je ne lui aurais sans doute jamais fais part d'une de mes inventions.

Seulement voilà, le temps passait et je commençai à déprimer. Il n'y avait rien de pire sur terre que de boire seule. Affalée sur le comptoir, je m'amusai à tortiller une mèche des cheveux tout en fixant un point sur le ventilateur fixé au plafond. Comme toujours au Heaven's Night, l'ambiance était des plus gaillardes avec ces hommes grossiers dont certaines montagnes de muscles qui passaient le plus claire de leur temps à brailler, fumer et boire. Les lieux empestaient le tabac, et suffisait à repousser les clients les moins téméraires. Ce n'était sûrement pas le lieu le plus adéquation avec une jeune femme telle que moi. Néanmoins, je n'en étais plus à ma première visite et la plupart des hommes ici présent avait finit par apprendre à me respecter autant qu'à me craindre. Il fallait dire que je portais toujours sur-moi mes holsters dans lequel reposaient docilement mes pistolets.

Et puis, il y avait également Shinji. J'avais tout récemment apprit que ce dernier avait fait main basse sur les lieux dans des circonstances plutôt étrange. Ignorant s'il fallait ou non le féliciter pour sa prouesse j'espérai au moins le croiser. Peut-être pourrait-il accessoirement et gracieusement remplir nos godets. Plus le temps passait et plus je me languissais, parcourant tantôt les lieux du regard en espérant voir débarquer l'un des deux protagonistes. J'allumais une cigarette pour patienter, contribuant ainsi et malgré moi à la pollution de l'air ambiant.

Quelques minutes s'écoulèrent encore et je vis finalement le Juunin débarquer tel le Cowboy dans un saloon. La clope pendant au bec, j'osai un sourcil, laissant un demi sourire trancher mes lèvres alors qu'il venait dans ma direction. D'un coup de botte, j'envoyais un tabouret glisser dans sa direction.

-Bravo, j'ai presque failli attendre. Je commençai à croire que tu t'étais déjà mis à bricoler un nouveau Sharky et que tu comptais me laisser en plan. Dis-je d'une voix taquine avant de marquer une pause pour mieux reprendre. Tu n'aurais tout de même pas oser me faire cela ?

Ce faisant, je reportai mon attention sur le barman, claquant des doigts pour lui intimer de nous servir. Deux verres de whisky glissèrent dans notre direction. Buvant une première gorgée comme si de rien n'était, je me demandai un instant si je donnai l'impression d'être habituée à l'alcool. Auquel cas, si Rantan s'était posé la question, il venait d'avoir sa réponse.

-Tu dois comprendre que j'aime bien les défis. Si nous en faisions un nouveau? Celui qui résistera le mieux à cette tournée sera proclamé vainqueur et devra un service à l'autre.

A dire vrai, je n'avais strictement aucune idée de ce que je pourrais lui demander une fois victorieuse. Sans doute de me payer un verre pour une autre fois, ou encore de me donner les plans d'une de ses inventions, voir même les deux, mais je savais d'expérience qu'il ne fallait guère mêler explosif et alcool.

-En attendant si tu me racontais comment est-ce que tu as fait pour devenir Juunin.. Je sais que tu sais te débrouiller en mission, mais que l'obéissance n'est pas vraiment ton fort. Hors ce fait prime davantage sur le premier.

Du haut de mon petit grade de chuunin, j'avouai brûler d'une certaine ambition et je savais que toute expérience venant d'un vétéran pouvait être bonne à prendre.

Je passai mes mains dans la bassine d'eau à plusieurs reprises, les frottants vigoureusement l'une contre l'autre pour en chasser le sang qui les maculait. Il y avait certaines choses que je n'avais pas envisagées lorsque j'avais acquis presque frauduleusement le Heaven's Night. Et l'une d'elle était la possibilité que des membres de mon personnel s'amuse à puiser dans la caisse en partant du principe que personne ne remarquerait rien. Il faudrait que je demande à Oniri de bien vouloir équiper l'endroit de caméras si elle trouvait le temps de le faire! Je ne connaissais pas suffisamment d'autres Saibogu vers qui me tourner et je ne voyais pratiquement plus Not's ces temps. Aller le voir pour lui demander un service était certainement le meilleur moyen de me faire passer pour un profiteur. Ce que d'une certaine façon j'étais d'ailleurs...

- "Jetez-moi ça dehors par la porte de service!" indiquai-je aux deux gorilles qui flanquaient mon employé récalcitrant. "Je ne veux pas que la clientèle soit indisposée par ce qu'il reste de sa tronche..."

Il faut dire qu'il aurait de quoi faire peur à plus d'un de mes clients et que je souhaitais évidemment que ce genre de choses restaient secrètes. Il s'agissait d'une affaire interne au Heaven's Night et en cette qualité elle ne devait pas s'ébruiter. L'autre y réfléchirait à présent à deux fois avant de jouer au plus malin et garderait quelques cicatrices à vie histoire de lui rappeler ce qu'il en coûtait de voler. Ou, plutôt, de me voler...

Pour autant je lui avais laissé une chance de se défendre et il avait été libre de ses mouvements! Je n'étais pas non plus le dernier des salopards même si je savais qu'au fond j'aurais de toute façon le dessus sur lui. Comment un shinobi aurait-il perdu face à un simple civil? On m'avait souvent dit que les arts ninja servaient à protéger les faibles et non à les écraser. Foutaises! Ils servaient à protéger notre nation aussi sûrement qu'à écarter de sa route un insecte gênant! Et c'était précisément ce que je venais de faire! Qui allait me blâmer pour ça?

Je remontai finalement à l'étage après m'être assuré qu'il ne restait plus la moindre trace de sang sur mes mains ou mes vêtements. J'allai ensuite indiquer aux deux barmans sur place qu'ils devraient se passer d'un serveur pour le reste de la journée ou plutôt jusqu'à quand j'en engage un nouveau. Ce qui n'allait certainement pas tarder vu la paie que j'offrais! C'est alors que je remarquai dans un coin de la salle Oniri et Rantan! C'était un plaisir de voir la première depuis qu'elle avait perdu la mémoire et le second me semblait plutôt sympathique. Et puis je n'oubliais pas qu'il m'avait sauvé la vie même si j'estimais que cette dette avait été remboursée le jour-même.

Je demandai rapidement à l'un des serveurs ce qu'ils buvaient et j'obtins rapidement ma réponse: du whisky! Mais c'est qu'ils avaient du goût! J'annulai leur note avant de saisir trois bouteilles dans le stock et me diriger vers leur table. Je n'allais certainement pas manquer cette occasion de me détendre un peu après ce petit ennui de... logistique qui m'avait retenu occupé.

- "Oni, Ran'!" saluai-je en arrivant à leur hauteur. "Vous ne voyez pas d'objection à ce que je me joigne à vous je suppose? D'autant plus que j'ai amené des copines avec moi!"

J'agitai doucement les trois bouteilles que j'avais pris le soin d'emporter avec moi avant de prendre place sans attendre leur réponse. Aux dernières nouvelles j'étais encore le propriétaire du Heaven's Night et s'ils n'acceptaient pas ma présence, qu'ils aillent se rincer le gosier ailleurs!

- "Alors dites-moi tout: comment vous allez?" questionnai-je avant de me tourner vers Oni. "Vous tombez bien à vrai dire! J'ai quelques soucis de sécurité ces temps et je me dis que vous allez peut-être pouvoir m'aider avec vos trucs technologiques! Mais on a le temps de parler de ça!"

Je fis d'un sortir un verre d'un sceau que j'avais entretemps apposé sur la table, portant leur nombre autours de la table à trois. Je servis ensuite chacun d'entre nous après avoir l'une des bouteilles avant de soulever le mien pour trinquer.

- "Il y a une règle ici: aucun jeu à boire ne se fait sans le patron! Du coup j'espère que vous avez l'estomac bien accroché parce que pour me battre vous aller devoir vous lever tôt! Et c'est rien de le dire!" annonçai-je joyeusement. "Allez, à la vôtre!"

Et hop, un verre dans le gosier! Je resservis immédiatement mes acolytes avant de m'allumer une clope et m'enfoncer plus confortablement dans ma chaise. Si Tsukiko me voyait ça aurait sûrement chauffé pour mon matricule mais comme elle n'était pas là et que j'estimais m'être tenu suffisamment sage ces derniers temps...

- "Dites j'ai besoin de votre avis les gars! Comment est-ce que vous trouvez le bar? Et qu'est-ce que vous changeriez si vous le pouviez! Soyez honnêtes!" je me tournai vers Oniri, sachant qu'elle allait clairement dire ce qu'elle pensait. "Sauf le patron, bien sûr! Ben oui sinon c'est pas du jeu! Allez santé!"

Et hop, un verre de plus... On allait bien s'amuser!

C'était tout simplement génial. Cet homme était aussi borné que moi. Chose plutôt rare à Suna. Après sa singulière défaite, il n'hésitait pas à reprendre du service en acceptant de parier sur un jeu d'alcool. Je n'en étais que plus déterminée à gagner, une fois encore. Au moins se rattrapait-il pour son retard, même s'il ne s'en rendait probablement pas compte. Je trinquai avec lui, buvant une première gorgée tandis qu'il me répondait à la question concernant son grade. Pour la première fois je vis un sourire se dessiner sur son visage. Ce dernier en disait, sans doute davantage que ce que j'aurai pu espérer venant de sa part. Ainsi l'avisais-je sous un jour différent. Non pas comme Rantan l'éternel insubordonné, mais comme Saibogu Rantan, le juunin fort d'expérience d'un long passé. J'en appris alors davantage à son sujet. Tout comme il me partagea sa vision des choses et j'avais en quelques sortes l'impression d'y retrouver celui de mes prédécesseurs, mais du point de vu d'un soldat vétéran.

-Je n'ai jamais vraiment eut à me poser ce genre de questions, me contentant d'obéir aveuglément aux ordres jusqu'à présent initié. Sans doute est-ce parce que je n'ai pas encore eut l'occasion de réellement diriger mon équipe, de faire des choix impliquant des risques.

Dis-je en portant une nouvelle fois mon vers de whisky à mes lèvres, les yeux rivés vers le plafond, pensive. Je ne pouvais m'empêcher de repenser à ma mission avec Ogami et des erreurs de jugement dont j'avais pu faire durant les multiples épreuves auxquels nous avions dû faire face. Certaine de mes décisions nous avaient sauvé tandis que d'autre aurait pu tout aussi bien nous tuer. Je m'en étais longtemps voulu pour cela, craignant de ne pas être à la hauteur pour commander les autres, de ne pas être capable de faire preuve d'autant de perspicacités que mes prédécesseurs.

-En effet, cela semble te réussir, d'être aussi borné. Fis-je dans un léger sourire ironique.

Borné oui, il l'était, mais je comprenais à présent qu'il devait ce fameux grade à sa capacité de discernement. Incontestablement, j'en venais à en découvrir la véritable valeur des individus que je côtoyai en discutant avec eux. Zanshi, Kioshi et maintenant Rantan. Tous avaient quelques choses à partager et à raconter. Je constatai alors que mon Sempaï avait déjà vidé son verre et m'empressai alors de faire de même afin de rester dans la course. Quitte à devoir prouver notre ténacité respective face à l'alcool, autant tenir au même niveau jusqu'au bout avant que l'un de nous ne flanche. Cependant, en constatant à quelle vitesse il avait descendu son verre, je pouvais pratiquement m'estimer déjà perdante.

Le vétéran changea alors de conversation. Sans doute voulut-il chercher à détendre l'atmosphère. Si tel avait été le cas, il aurait sans doute mieux fait d'éviter de me parler de mon père. Aborder le sujet comme quoi nous étions si différent l'un de l'autre me renvoyait inévitablement à ce mal-être qui persistait entre nous et ce depuis ma naissance. Une de ses remarques attira malgré tout mon attention. J'haussai un sourcil à son encontre, lui adressant dès lors un regard interrogateur.

-Mis à part deux ou trois points? Répétais-je interloquée. Je serais bien curieuse de les connaitre.

Il s'agissait bien de la première fois que j'abordais le sujet de mon père avec qui que ce soit. Même du temps où Yami vivait chez-moi, je n'avais pas été en mesure de lui en parler. Pourtant avec Rantan c'était différent. Etait-ce parce qu'il était aussi un Saibogu? Que lui aussi n'entretenait pas de bon rapport avec notre chef à tous? Sans doute un peu tout cela. Et puis il avait sa façon de s'exprimer. Cette nonchalance qui lui était propre et qui laissait les mots paraîtres naturellement.

-J'imagine que toi et moi avons dû lui en faire voir de toutes les couleurs. Essayais-je de plaisanter.

Je levais mon verre vide à son encontre et nous trinquâmes cette fois-ci dans le vide, non pas pour la boisson, mais pour la complicité que suscitait ce point commun. Ce fut alors que le baron entra en scène. J’eus un sourire amuser en le voyant ainsi se ramener, glorieux comme il se pavanait avec ses bouteilles en main. Au moins savions-nous que nous pourrions compter sur lui à ce niveau-là. Sa remarque sur ses prétendues copines m’amusa et je ne pus m’empêcher de faire une remarque à ce sujet.

-Pas de problème. Les amies de mes amis sont mes amies.

Ainsi, je l’invitai généreusement à se joindre à nous et il s’installa, remplissant à nouveau nos verres comme il se devait avant de trinquer tous les trois. Il ne fut pas sans dire que les offres généreuses qu’il nous prodiguait n’était pas sans répercutions. Evidemment, notre ami cherchait à acquérir quelque chose en retour. Cela m’amusa. Décidément le sens des opportunités venaient en même temps que le sens des responsabilités. Au moins ne pouvais-je pas lui retirer cela.

-Désolée, mais je doute que cela soit vraiment nécessaire. Je ne sais pas si tu es au courant du projet de développement qui est en train de se mettre en place, mais il y a fort à parier que l’intégralité du village va bientôt se retrouver sous surveillance constante. Après, ce n’est pas vraiment à moi de juger s’il s’agit d’une bonne chose ou non.

Je reportai le conteneur à mes lèvres, de nouveau pensive, me demandant si tout compte fait le sujet de conversation était réellement approprié. Nous étions avant tout là pour nous détendre. Après coup Shinji s’affala dans sa chaise et s’en alluma une avant de remplir nos verres alors que le mien était encore à moitié plein. Je décidai de l’imiter en sortant moi aussi une nouvelle cigarette. Lorsqu’il nous demanda nos avis quant à l’état de son bar. Je ne pus m’empêcher de froncer des sourcils face à ce mot de trop.

-Les gars ?

Je roulais des yeux et les détournai en direction de Rantan, comme si je cherchais une quelque forme de soutien à cet instant. Je me gardai bien d’une autre remarque et me contentai simplement de soupirer.

-Tu devrais peut-être filtrer un peu mieux ta clientèle. Eviter de récolter les déchets du village. En donnant une meilleure réputation à ton bar tu attireras des clients avec un meilleur porte-monnaie. Le faste à toujours rapporté davantage que l’indigence mon cher.

Je ne pus m'empêcher d'étirer un sourire aux dires du vétéran concernant les éventuelles points commun avec mon paternel. C'était sans doute idiot, et quelque part cela ne valait rien, mais pour moi, ces paroles avaient un certaine sens. L'idée que je puisse avoir la moindre similitude avec, me donnait quelque part l'impression que tout n'était pas perdu. Ou plutôt que tout n'était pas vraiment à jeter. J'avais beau vouloir le détester et le craindre, il n'en demeurait pas moins mon père et dans un sens, restait au demeurant la seule famille que j'avais, même si on ne pouvait pas vraiment parler de tel. Je me sentais beaucoup plus proche de mes amis ainsi que de certain membre du clan plutôt qu'avec lui, mais quelque part savoir cela avait quelque chose de rassurant ; me donnant l'impression de ne plus être une étrangère au milieu de ce monde en constante évolution.

A mesure que Shinji remplissait nos verres, je vidais les miens, de plus en plus lentement. L'alcool commençait à me retourner le cerveau. Le décor en venait à dangereusement osciller autour de moi. Quelque chose me disait que je n'étais pas prête de gagner ce pari avec Rantan, en tout cas pas tant que l'Akuzu continuerai de distribuer aussi allègrement le whisky. Ce pendant ce dernier, ne pus s'attarder ainsi pour mon plus grand soulagement. Je pus davantage me mettre à mon aise et ne plus m'efforcer à cacher le fait que toutes ces consommations étaient en train de me faire flancher. Je ne pouvais me permettre de faire preuve d'une once de faiblesse devant Shinji, déjà qu'il ne lui fallait pas grand chose pour causer des problèmes. Rany s'exprima lorsqu’il le vit partir, déclarant qu'il ne voulait même pas connaître les raisons de son départ. Ce faisant, je tournai la tête dans sa direction pour lui adresser un regard entendu.

-Moi non plus si tu veux tout savoir, mais... Mais il a laissé la bouteille, et j'vais pouvoir gagner mon pari.

Je voulus attraper cette dernière pour aller remplir mon verre, mais mes doigts se refermèrent à moitié dans le vide, manquant de renverser le conteneur sur le bar. J'étais encore consciente de mes actes, tout du moins en partie, cependant je remarquai que les objets avaient une sévère tendance à se dupliquer sous mes yeux. Lorsque je voulus réitérer ma tentative, ce fut cette fois-ci Rany qui m’interrompit pour me dérober la bouteille afin de remplir son propre verre avant de la reposer, un peu plus loin, hors de ma portée. J'émis un son plaintif à son égard, comme une enfant à qui l'on venait de dérober son jouet.

-Tu sais, je ne peux pas gagner si tu m'empêches de boire...

Ma remarque le fit sourire, et je compris qu'il ne comptait pas me laisser toucher davantage. Je croyais également qu'il voulait me faire comprendre que j'avais déjà perdu ce pari. Ce faisant, j'essayai d'aviser mon reflet dans les miroirs encastrés derrières les étagères murale du bars. Je n'y vis pas grand chose, mit à par une moi-même avec un visage égaré par la boisson.

-Bon d'accord...

Ma tête me parut soudainement lourde et je croisai mes bras sur le bar afin de poser mon front dessus. Je commençai à atteindre mes limites tandis que celle de Rany semblait encore loin. Tournant imperceptiblement la tête, je levai un œil tout en restant affalée contre le bar. Tout au plus il paraissait de meilleur humeur. Mais il n'y avait pas à dire, le bougre supportait plutôt bien l'alcool.

-J'imagine que je te dois un service...

Oui, j’admettais avoir perdu sur ce petit jeu là. Il ne restait plus qu'à tenir parole même si cela ne m'enchantait guère.

Il était à présent temps pour nous de quitter le bar. Malheureusement pour moi, je n'étais plus en mesure de tenir sur mes jambes. A peine avais-je tenté de me relever que je manquai de chavirer lamentablement. Ran fut néanmoins là pour me rattraper au dernier moment. Ce ne fut qu'une fois debout que je pris pleinement conscience de mon état. L'alcool avait sérieusement atteint mes capacités cognitives et physiologiques. Désormais, le décor oscillait autour de moi sans que je n'ai à bouger les yeux. La situation semblait tout de même amuser le vétéran, lui qui venait de remporter cette petite victoire sur moi. Il s'exclama d'ailleurs à ce sujet, comme quoi la journée avait été plutôt remplit.

-Je ne te le fais pas dire. Il faudra qu'on remette ça ! Je te montrerai comment fabriquer d'autres trucs puis après on irait boire. Et cette fois-ci je te battrai à chaque fois !

La boisson parlait à ma place. Je n'avais plus vraiment toute ma tête et sans doute devais-je parler un peu trop fort et sans retenue, mais il devait avoir saisi l'idée malgré-tout. Mit à part mon paternel, je n'avais jamais eut d'exemple à suivre en tant que Saibogu, ce qui, en soit, n'étais pas nécessairement une bonne chose. Le fait de passer, ne serait-ce qu'un peu de temps avec l'un des membres de mon clan était assez nouveau pour moi, qui, d'habitude, avait davantage tendance à me faire mépriser par ces derniers, à juste titre par ailleurs...

Incapable de coordonner mon cerveau avec le restant de mon corps, je fis entièrement confiance à « l'oncle » Rany pour me guider vers la sortie. Ce surnom m'était venu naturellement à l'esprit. Sans doute peut-être, parce que malgré sa tête de monsieur tout le monde, il avait justement des airs de tonton flingueur plutôt sympathique.

-J'espère que mon père ne sera pas à la maison. Il ne manquerait plus qu'il nous voit nous ramener dans cet état. Peut-être que tu devrais me laisser. Cela risque de chauffer pour toi sinon !

Un bref instant de lucidité dans ce moment d'égarement ? Disons que je commençai plutôt à connaître la chanson car, je ne comptais plus le nombre de fois où j'étais rentrée en piteux état à la grande demeure familial. Néanmoins cela n'avait pas d'importance. Je le savais, comme toujours il resterait tard à travailler dans son bureau et ce serait sans doute à mes domestiques de m'accueillir et de me gronder. Peut-être aurais-je simplement préférée qu'il soit là. Qu'il daigne enfin me remarquer... Mais je ne me faisais pas trop d'illusion. Je venais d'avoir dix huit-ans aujourd'hui et rien n'avait changé. Enfin, peut-être que si...

-Dis tonton ! Lorsque je serais chef du clan, tu voudras bien être mon garde du corps ? Ça t'irait bien et puis ça serait amusant. Je te promet que je serais sympathique et de pas trop de martyriser.

Nos pas foulaient le sable qui encombraient les rues de Suna. Un pied devant l'autre, nous continuions d'avancer, chancelant dans la nuit tandis que cet étrange sourire ne quittait pas mes lèvres.