Avancer. Avancer sans s'arrêter. Voilà ce qu'il devrait faire. Voilà se façon de vivre. Avancer le regard constamment rivé en arrière. Constamment prêt à se retourner pour faire demi-tour. Comment a-t-il pu en arriver jusque là ? Lui même se le demande. Et pourtant. Pourtant il est encore là. Pourtant il a continué à s'accrocher. Et il entrouvre les yeux, alors que les premiers rayons du soleil percent l'obscurité. Il se frotte les yeux un instant. L'heure ? En soi... Encore relativement tôt par rapport à d'habitude. Quant à la journée qui s'annonce... Il referme les yeux un instant. Il aurait aimé fermer les yeux. Fermer les yeux, s'endormir, et ne plus se réveiller. Mais non. Il n'a guère le choix. Alors quoi ? Alors il va devoir se lever. Se lever et partir faire sa vie. Comme chaque jour. Comme il s'obstine à le faire depuis un peu trop longtemps.

Il finit par repousser ses draps d'un revers de la main, enfilant ses chausses en quittant son matelas. Oui, il s'est encore endormi tout habillé. Mais quelle importance. Les gens s'en fichent bien de ce qu'il peut faire, de ce qu'il peut dire, de ce qu'il peut faire. Il étouffe un bâillement, avant de finir par ouvrir ses rideaux en grand. Il cligne des yeux face au brusque changement d'environnement, mettant quelques instants à s'habituer à la luminosité. Bien. Il va être temps.

Il ferme les yeux tout en déverrouillant sa porte. Il inspire, lâchant un léger soupir au moment de se décider à finalement sortir. Il traîne des pieds. Il avance tranquillement, croisant les passants au fur et à mesure de sa marche, souriant à chacun d'eux, en saluant la plupart d'un léger bonjour, toujours ponctué de son petit sourire. Il marche de son pas légèrement traînant, croisant quelques enfants. Il s'arrête un instant, renvoyant la balle qu'ils viennent de perdre, les saluant d'un petit signe de la main. Rien d'autre qu'un jour habituel. Rien qui ne sorte de l'ordinaire. Toujours le même masque. Il sourit. Il sourirait presque intérieurement. Mais pourquoi ? Il ne saurait le dire. Tant pis. Il ferme les yeux, se tournant vers l'astre soleil, souriant tranquillement. Affichant ce visage calme. Serein. Il s'arrête un instant, avant de reprendre sa route. Il ne sait guère quoi faire. Il sait que le clan s'occupe de ses oiseaux même s'il ne passe pas à la volière. Mais après tout, y passer ne lui fera pas vraiment de mal. Ca ne lui coutera rien. A moins qu'il ne trouve quelques chose d'autre à faire. Il verra bien. Peut-être trouvera-t-il quelque chose pour combler cet espèce de vide qui lui pèse. Peut-être réussira-t-il à trouver de quoi combler ce trou qu'il a percé. Ce trou qu'il n'a jamais su refermer.

Il sourit. Il hoche la tête en réponse au signe du jeune homme. Il s'avance, les mains enfoncées dans les poches. Les poings serrés. Pourquoi encore cette hypocrisie ? Pourquoi encore ces faux semblants, ces sourires factices, cette gentillesse feinte ? Il a l'impression de ne plus savoir faire que ça. Que son sourire pourrait s'écrouler à tout instant. Et pourtant. Pourtant il serre les poings. Il avance. Sans un mot. Il sourit. Il garde ce sourire de composition, alors que ressurgit cette même question : Pourquoi. Pourquoi ? Pourquoi diable tout cela ? Et la réponse est bien simple. La réponse est simplement évidente. Lui même ne le sait pas.

Il avance malgré tout, venant s'installer à côté du gamin. Pourquoi ? Il ne sait pas. Peut-être simplement car il a vu son sourire. Un vrai sourire. Contrairement à celui qu'il arbore habituellement. Il a été intrigué. Comme un insecte attiré par une lueur dans la nuit. Un insecte incontrôlablement attiré par une lueur qu'il ne connait pas. Par une étincelle dans la nuit. Une étincelle qui lui est inconnue. Ce sourire. Ce sourire qu'il voudrait reproduire mais qui sonne atrocement faux sur son faciès. Ce sourire factice. Simplement faux, mais qui trompe pourtant tant de monde.

La même chose que le jeune homme.

Il s'arrête un instant, avant de se rendre compte de son interlocuteur. Il semble alors se redresser brusquement, ajoutant à la volée.

D'ailleurs chef. Mon oncle devrait vous livrer d'ici les deux prochains jours. Si je ne dis pas de bêtises. Mais toujours est-il que ça ne devrait pas tarder.

La joie de faire partie d'un clan d'agriculteurs et d'éleveurs. Il finit par reprendre sa place, se replongeant dans ses pensées, croisant le regard du jeune homme à côté de lui. Il se contente d'un léger sourire, attendant son bol de nouilles. Et maintenant ? Et maintenant qu'il est là, que fait-il ? Il ne sait pas vraiment. Il n'y a pas réfléchi. Il se gratte la joue un instant du bout de l'index, avant de se décider à lâcher la première question qui lui passe par la tête.

Alors ? Pourquoi cette invitation ?