Je regardais partout. Les meubles. Les murs. Les bouquins qui traînent partout. Des vêtements entassés sur le dossier d'une chaise. Les fenêtres et la lumière laiteuse qu'elles filtraient. J'sais pas. C'est bizarre. L'arrangement est le même. Même les murs sont de la même couleur. C'est presque pareil. Mais l'ambiance est différente. Elle est lourde. Presque étouffante. On dirait chez moi. Mais cet endroit... C'est pas chez moi. Nan. J'appellerai jamais ça la maison. J'suis pas chez moi. J'ai beau rentrer tous les jours ici... J'me sens comme chez un étranger. J'ai l'impression de pas reconnaître l'endroit. De pousser la porte d'une autre personne. Avant, y'avait ce truc. Cette impression pétillante. De folie légère. Joyeuse. Et surtout. Surtout, y'avait pas ce silence. Ce silence dévorant. J'ai beau mettre de la musique, c'est comme si j'étais sourd. J'entends rien. Y'a rien. J'ai l'impression de rien avoir. J'ai tout ce qu'il me faudrait. Mais j'ai rien. J'ai plus rien.

J'attrapais un bouquin que je rangeais, campé sur une étagère. Un ouvrage philosophique. Et j'avais pas envie de philosopher. Le sens de la vie ? Tss. Une mauvaise blague. Je l'ai déjà dit. Je le répéterai. Le monde s'est pas arrêté de tourner. La Terre nous porte encore, nous, et le poids de nos erreurs. De nos folies. De nos plus profondes conneries. Et pourtant. Pourtant, j'ai l'impression que... Je sais pas. Cette impression bizarre que mon univers s'est effondré. Pourquoi. Comment. J'en sais rien. J'ai pas envie de savoir. Moi, dépressif ? Non. Sombre. Morose. Vide. Tout ça, oui. Mais dépressif, non. Comment je le sais ? Je le sais, c'est tout. Cette vacuité, je la porte depuis quelques temps. Je m'y suis fait. Donner un sens à ma vie est pas ma priorité. Vivre ? Je sais même pas si je vis. J'ai l'impression de marcher à côté de mes pompes. Que la vie suit son cours. Comme un long fleuve qui coule. Et qui continuera de couler. J'étais une gouttelette. J'en étais une. Je suivais le courant, comme je pouvais. Mais et maintenant ? Maintenant, je suis comme une pierre, posée sur la rive. Comme un spectateur, qui regarde la scène. La scène où se déroule cette longue pièce, nommée La Vie. Et moi ? Je regarde. J'suis seul dans le public. J'ai même pas osé garder mon rôle de figurant. Je me suis éjecté de tout ça. Et je sais pas. Je sais plus.

J'ai besoin d'air. J'ai besoin de bouger. Mais pour aller où ? Je sais pas non plus. Et puis merde. Allez, bouge toi un peu. De toutes façons, je suis déjà la main sur la poignée de la porte. J'ai pas pris de veste. Ils annoncent de la pluie. Tant pis. Quelle importance de toutes façons. J'ai juste envie de marcher. D'avancer. De bouger. Rien d'autre. Juste respirer un peu. Je veux juste sentir ce courant d'air remplir mes poumons. Je veux juste dégager cette masse qui s'est installée dans ma poitrine. Ce truc qui me bouffe de l'intérieur. Je sais pas ce que c'est. Je le saurais peut-être jamais. J'ai l'impression que d'un moment à l'autre, je pourrais tomber. Me briser. Ne jamais me relever. C'est bizarre. Je vais pas si mal. J'ai juste ce poids énorme. Juste l'impression que ce truc a fragilisé mon corps. Ou mon esprit. Peut-être les deux. Qu'est-ce que j'en sais. Est-ce que j'ai envie de savoir. Non. Quelle importance. J'ai juste besoin de marcher. De me noyer dans la foule. De noyer ce poids. Quitte à me noyer avec lui.