- Coucou, est-ce que vous avez le temps de-

J'avais abattu mon poings avec une rare violence sur la mâchoire de l'enquêteur de rue, qui voulait juste que je réponde à son sondage. Il était tombé au sol, il pissait le sang. Il gémissait, alors qu'il ne comprenait pas le pourquoi d'une violence aussi sordide. Mais bon, il était humain. J'étais Gekei. Il n'y avait pas besoin d'autres raisons pour légitimer l'acte soudain. J'aurai dû insister, d'ailleurs. J'aurai dû faire en sorte de le tabasser, de telle façon à ce qu'il n'arrive plus à bouger, que la seule chose qui parcoure son corps soit de vains sanglots. Pourtant, non. J'avais continué mon chemin, en grinçant les dents. Je m'engouffrais dans les ruelles sombres, celles qui étaient sales et étroites, où la lumière peinait à percer. J'avais envie d'être un peu seule. De ne voir aucun inconnu à l'odeur pestilentielle. Et je me demandais, encore. Pourquoi ne pas avoir continué ? Pourquoi ne pas me défouler, ne pas avoir extérioriser cette colère qui nous caractérisait pour la plupart, dans le clan.

Sûrement parce que ce n'était plus le cas. La colère s'était épuisée. J'étais lasse, au fond. Un peu triste, aussi.
Ce n'était plus aussi drôle, en fait, en simple conclusion. Tabasser des gens, les voir pleurer, tout ça, c'était bien. Mais c'était bien avant. Avant quoi ? Je sais pas. Une prise de conscience ? Aucune idée. Pas que je ressente le moindre regret à la tâche, hein. Ni une quelconque pitié. Juste que ça avait perdu cet attrait. Humilier les gens plus faibles que moi n'était plus aussi rassurant.

Peut-être que c'était ça, le problème. La remise en question. Chercher à devenir une personne meilleure, même. Mais quelque chose me disait qu'il était un peu tard pour ça. A moins que tard, ça l'était depuis le commencement.

Quelqu'un comme moi n'était pas destinée à être une femme bonne.

C'est sûrement pour ça que je ne l'ai pas senti tout de suite. Parce que j'étais égarée dans mes pensées. Alors que j'avançais de mon pas félin en cette énième petite ruelle, je l'avais enfin ressentie. Cette drôle d'odeur. Une mêlée à plein. Indistincte. Dérangeante. Comme jamais auparavant. Je m'étais stoppée. Etais-je épiée ? Peut-être. Sûrement. Quand on servait Kiri et qu'on était aussi imbuvable que moi, les ennemis ne manquaient pas.

Ce qui ne me faisait pas peur, ça m'amusait même. Enfin, ça, c'était avant. J'étais lasse, même de ça. Si bien que je me contentais de dire, sur une voix dépitée.

- Bon, on continue le cache-cache ou tu te montres, joli cœur ?

Après tout, il se pouvait que ce soit une bonne rencontre, hein.
J'ai limite envie d'éclater de rire. D'un rire jaune.